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Revue

L’UNEBÉVUE N°39
La nuée du langage

Sommaire

 

La nuée du langage. Jacques Lacan

– Pourquoi il est comme ça ? demanda Junior. Pourquoi faut-il toujours qu’il raconte des trucs bizarres ? Bordel, il a même pas besoin de prendre des drogues.
– Certains disent qu’on l’a lâché et qu’il est tombé sur la tête quand il était petit, quelques Anciens disent qu’il est magique. – Qu’est-ce que tu penses toi ? – Je pense qu’il est tombé sur la tête et je pense qu’il est magique

 

Songe d’une nuit d’hiver. Une histoire de bord de Loire. Élise Cressely

Le penser sylvestre, la sorte de penser que fabriquent les forêts, la sorte de penser qui nous relie au reste de la vie, est essentiellement une forme imagiste (imagistic) de pensée. Souvent, vous ne vous demandez pas si un esprit est réel, vous vous demandez comment les gens le comprennent comme étant réel. Ce sont deux questions très différentes. Dans cette veine le titre de mon livre aurait du être « Comment les Runa pensent les forêts », et non pas « Comment pensent les forêts ». Dans mon travail il est très important d’essayer de parvenir à une certaine fermeture conceptuelle. Penser sémiotiquement à propos de la pensée sylvestre m’aide à comprendre les choses d’une nouvelle manière. Je peux parler en termes très précis des propriétés sémiotiques des choses et je peux travailler avec ces propriétés.

 

Un rêve grammatical. Une remarque de grammaire onirique. Jean-Claude Dumoncel

Quand Hiroshima a été détruit par une bombe atomique en 1945, la première chose vivante à émerger du paysage soufflé fut le champignon matsutake. L’indétermination joue un rôle essentiel dans la diversité contaminée. Raconter des histoires est une méthode qui bouscule, et pourquoi ne serait-ce pas une science à ajouter au panel de la connaissance ? Cette science aurait comme objet de recherche la diversité contaminée, son unité de base serait la rencontre indéterminée qui utilise l’ethnographie et l’histoire naturelle. Ces histoires ne peuvent pas être résumées, elles ne sont pas scalables.

 

Réveiller les Esprits de la Terre. Rencontre à l’Échangeur. Barbara Glowczewski

On a ce préjugé, cette espèce de caricature des chasseurs-cueilleurs nomades – sou- vent rapprochés de populations préhistoriques dans une vision évolutionniste de l’histoire – que la culture authentique serait celle qui a été perdue avec la colonisation. Or, la leçon justement de ce rapport à une nostalgie existentielle profonde, qui est la nostalgie du territoire existentiel de Guattari et Deleuze, la nostalgie de la déterritorialisation, c’est la valorisation de cette nostalgie-là, par rapport au refus d’être dans une nostalgie d’un temps d’avant qui serait immobile dans la répétition, c’est essentiel. Si on accepte ici dans les théâtres, dans les expositions, que la culture occidentale doive toujours inventer, créer, innover, pourquoi est-ce que les peuples autochtones n’auraient pas une valeur culturelle en tant que créateurs de leur propre culture, qui change dans certains cas, pour des Aborigènes qui sont en Australie depuis 60000 ans, en s’adaptant à des transformations inouïes du paysage ?

 

L’indien le plus coriace au monde. Sherman Alexie
Traduit de l’américain par Nicolas Plachinski

« Ils te feront la peau s’ils en ont l’occasion », disait mon père. « Qu’ils t’aiment ou qu’ils te détestent, les blancs te tireront une balle en plein cœur. Même après toutes ces années, ils peuvent encore sentir le saumon sur toi, le saumon mort, et ça, ça rend les blancs dangereux ».
Nous tous, Indiens et blancs sommes hantés par le saumon. Lorsque j’étais un petit garçon, je me penchais au bord d’un barrage au hasard, – peut-être celui de Long Lake ou de Little Falls ou encore celui du grand dragon gris qui s’appelait aussi le Grand Coulee – et je regardais les esprits des saumons qui s’élevaient de l’eau vers le ciel et devenaient des constellations. Pour la plupart des Indiens, les étoiles ne sont que des pierres tombales blanches dispersées dans un cimetière obscur.

 

William Burroughs, six actes de magie. Julio Barrera-Oro

« Toute mon œuvre est orientée contre ceux qui sont disposés, délibérément ou par stupidité, à faire sauter la planète ou la rendre inhabitable » écrit William Burroughs, qui affirme maintes et maintes fois que l’art en général, et la littérature en particulier, sont d’origine magique. Et il se pourrait bien que cela ait quelque rapport avec sa conception, sa connaissance et sa pratique de la psychanalyse.

 

Un air sur trois notes à propos de Foucault en Californie. François Dachet

« Si mes souvenirs sont exacts, je dois la première grande secousse culturelle à des musiciens sériels et dodécaphonistes français – comme Boulez et Barraqué – aux- quels j’étais lié par des rapports d’amitié. Ils ont représenté pour moi le premier accroc à cet univers dialectique dans lequel j’avais vécu » déclarait Michel Foucault en 1969.

 

Déplacer LES montagnes. Marie Jardin

Rien, ni au début, ni à la fin. La vallée encaissée et grise est découpée en tranches. Les plastics et les bâches, fleurs d’avenir, se sont épanouis autour des arbres fracassés. D’énormes pylônes s’élèvent déjà très haut, prochains supports d’autoroutes élégants reliant les deux cotés de la montagne. Les turbines tourbillonnent là où elles sont installées. Des hommes transportent des décombres dans des paniers sur leur dos. Certains ont mis des foulards sur leur visage et parfois portent des casques. Une vache toute maigre et brune se faufile.

 

De la gestion technocratique des vivants et des morts. Françoise Gendrot

« Que s’est-il passé ? La vie, et je suis vieux » écrit Simone de Beauvoir en 1970 dans son avant-dernier essai de plus de 800 pages, La Vieillesse. « Devant l’image que les vieilles gens nous proposent de notre avenir, nous demeurons incrédules ; une voix en nous murmure absurdement que « ça » ne nous arrivera pas : ce ne sera plus nous quand « ça » arrivera. Avant qu’elle ne fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres. Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous détourner de voir dans les vieilles gens nos semblables. C’est l’exploitation des travailleurs, c’est l’atomisation de la société, c’est la misère d’une culture réservée à un mandarinat qui aboutissent à ces vieillesses déshumanisées. Elles montrent que tout est à reprendre, dès le départ. C’est pourquoi la question est si soigneusement passée sous silence : je demande à mes lecteurs de m’y aider ».

 

Albin et Serena. Frantz Succab

Albin-boulanger nous procurait notre pain quotidien ; mais si l’on fait la part entre son métier qu’il exerçait avec conscience et le reste, il n’avait montré qu’un seul don dans sa vie, celui de disparaître. Alors comme ça, souvament, disparaître prend Albin, fap. Comme soudainement la nuit s’empare du ciel, de la montagne, des arbres, de tout, pour les plonger en présence invisible, un là-sans-là, jusqu’à ce que l’aube les amènent-venir, là, sous nos yeux, à une autre présence inondée de soleil.

 

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N° 34 DE LA REVUE L’UNEBEVUE
ISBN : 978-2-914596-52-7, ISSN : 1168-148X, 224 p. 22 €
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Sommaire N° 34

MAILLAGES SÉMIOTIQUES DE LA QUOTIDIENNETÉ

À TITRE DE SÉJOUR, L’ESCALE, UNE PRATIQUE D’HOSPITALITÉ AU CINÉMA

Marie Jardin

Des migrants, une menace pour la sécurité identificatoire, la police et la stabilité des frontières du sens, des territoires, des corps et des relations réglées. Dans cette mise hors-jeu d’un quotidien normé, dans ce temps suspendu et soumis à l’arbitraire, Kaveh Bakthiari tourne clandestinement un film L’escale, qui réalise une forme de maillage sémiotique « d’un quotidien accidenté », « d’une réalité souterraine ». Tout cela trace en creux ce qu’il en est des conditions de vie instituées, pensées habituellement comme « naturelles » et « individuelles ». Quand chaque geste anodin et quotidien peut remettre la vie en jeu, chaque mot pour dénommer choses et gens, la forme, le style narratif pour recevoir leur témoignage, pour en créer un qui ait une efficace, vont être très importants, et le film va mettre sans relâche cette question au travail : « J’étais parti avec des clichés, l’illégalité… les clandestins… même inconsciemment, on se dit ce sont des voyous… une peur s’installe… ».

ENTRER DANS LE CERCLE MAGIQUE DE DÉMÉTER ET CORÉ

Anne-Marie Vanhove

Que de variations, de spirales, de volutions, autour de Déméter et Coré-Perséphone. Claude Calame a contribué à l’histoire des femmes, puis du genre, puis de la sexualité. Dans les années 1990, alors qu’il enseignait à Yale et Princeton, il fut frappé par la violence du débat féministe à l’intérieur de l’université, et s’est rendu compte à quel point cette vision militante a projeté sur des textes poétiques antiques, notre propre conception de l’équilibre social entre les sexes. La version que donne Starhawk de Déméter et Coré dans Rêver l’obscur, femmes, magie et politique participe du lien qu’elle fait entre magie et politique, invoquant la Déesse comme affirmation de l’immanence.

REICH L’IMPOSSIBLE.

Gérard Blikman

Lore Reich : « Les psychanalystes ont rendu mon père fou ». Reich a-t-il jamais eu un « territoire » ? Le diagramme reichien est riche d’enseignement, il permet de lire que la question de la libido, pour rester liée à la dialectique du désir, impose de ne pas désolidariser les trois points de fuite, le sexuel, le politique, le psychanalytique. Et Reich l’a tenue à corps perdu, cette question de la libido. L’impossible formule, l’impossible organe indiscernable, fouillant les bas-fonds, les corps, les amibes et autres micro-organismes… Quelle insistance de la FDA pour prouver que l’orgone n’existe pas, jusqu’à en brûler tout historique, toute trace, tout écrit, dont ladite paranoïa de Reich ne serait que le faible écho ! Quelle détermination des politiques et des psychanalystes à brûler la sorcière Reich ! Y aurait-il donc une formule possible d’un organe, d’une libido qui n’existe pas? Sur les traces de cette question sexo-politico-psychanalytique, on peut croiser Lyotard, et son économie libidinale, ou Deleuze et Guattari et leur corps sans organes, ou encore Lacan et sa lamelle.

3 AVRIL 1952, À ORGONON

Traduction Gérard Blikman

Moi, Wilhelm Reich, suis assis, seul dans une vaste pièce en bas de la maison. J’espère que quelqu’un, un jour, dans le futur, écoutera cet enregistrement avec un grand respect, le respect  pour le courage qui a été nécessaire pour maintenir assidument le travail de recherche sur l’énergie vitale et l’orgone tout au long de ces années.

DADA DADA DADA LA VIE. DEVENIR-IDIOT

Julio Barrera-Oro

Les dadaïstes vivaient dans une société bloquée. Sans argent. En exil à Zurich ou à Berlin, dans la misère. Les gens n’avaient pas de pain, les rues étaient pleines d’estropiés. On se prostituait pour manger un peu. On se suicidait. On se tuait dans des soirées sadomasochistes. Le désespoir était total. Et en même temps, ces gens ont eu la force de produire un art exceptionnel. On croit connaître le mouvement Dada, mais Marc Dachy soutient qu’on n’a pas encore commencé à l’étudier. Pourquoi ? Deleuze, entre autres, en donne une explication : « Le dadaïsme, c’est un réseau transversal et qui affecte tous les pays, tous les pays, de l’Europe, euh… de l’Europe de l’Est à l’Amérique, euh… le dadaïsme traversera le monde entier. Précisément parce qu’il n’est pas centralisé. Et qu’est-ce que fait André Breton ? Qu’est-ce qu’il fait, André Breton ? Il remet de l’ordre. Il remet de l’ordre et il fait un truc national, un truc bien français. Le surréalisme sent le français. Et il établit ses tribunaux, et il lance ses excommunications, et il mettra tout le monde au travail forcé, à savoir les pages d’écriture automatique et les petits jeux débiles, euh… et tout ça. Bon. Il remet de l’ordre. Et il en fait un centralisme français. Bon : Dada ne s’en remettra pas, je veux dire, là, s’il y a une politique dans l’art ou dans la littérature, vous pouvez prendre cet exemple parce que ça a été vraiment une lutte politique. Ça a été une lutte politique, à savoir : Dada s’est fait absolument manger, dévorer, Dada n’était plus possible à cause de la remise en ordre opérée par le surréalisme ».

LAWRENCE APOCALYPSE TODAY

Colette Assouly-Piquet

Apocalypse est un texte écrit par Lawrence en 1929, juste après L’homme qui était mort, et juste avant sa propre mort phtisique, dans un flot de sang. Qu’il ait nommé son dernier livre Apocalypse signifie certainement qu’il a lui-même des révélations à nous faire sur le sens de cet Apocalypse qu’il considérait « comme le plus épouvantable des livres de la Bible ». C’est qu’il le lisait depuis son enfance, dans ce milieu pauvre des mineurs de Eastwood, dans le Nottinghamshire. L’Apocalypse est pourtant un livre difficile. Lawrence remarque que ce livre utilise un langage symbolique, incompréhensible pour le lecteur actuel qui n’en possède pas les codes. En effet, ce langage symbolique est dérivé des cosmogonies préchrétiennes, dénommées tardivement païennes, et Lawrence précise que les rédacteurs de L’Apocalypse ont utilisé cet ancien langage dans le but de détruire ce fond païen, en construisant sur lui un nouveau système qui l’étouffe. En fait, les premiers mystiques chrétiens n’étaient pas capables de fabriquer un nouveau langage symbolique et s’étaient servi de l’ancien langage en le détournant largement de son sens. Ils ont contribué ainsi à nous faire oublier le sens premier des métaphores dont regorge L’Apocalypse, si bien que sa lecture nous est devenue très difficile et que sa puissance cosmique nous échappe totalement.

UNE VOLONTÉ DE SAVOIR… POUR SAVOIR ?

Jean Allouch

La Volonté de savoir n’est pas tant une étude savante qu’une vision. Foucault visionnaire. La psychanalyse introduit ce soupçon à l’endroit de ce qui serait une promotion de la volonté de savoir. Toutes écoles confondues, elle a su noter que, sans les dérangeantes perturbations du symptôme, nulle volonté de savoir concernant le sexe ne montre jamais le bout de son nez. D’ailleurs, n’est-ce pas aussi de là que sont nés le projet foucaldien d’une histoire de la sexualité et, plus avant, l’ensemble des travaux qui ont constitué le champ gay et lesbien ? Aurait-on jamais autant questionné le sexe si l’on avait eu avec lui un rapport apaisé ? Qu’aurait pu dire Foucault de la remarque lacanienne selon laquelle est parfois attribué à l’analyste un pouvoir que, précisément, il s’abstient d’exercer, car il n’est pas le sujet supposé savoir ? L’érotique est-elle envisageable en écartant ce qu’elle suscite de volonté de n’en vouloir rien savoir? De plus, que serait le savoir s’il est exclu qu’en toute conscience l’on sache ce que l’on dit ? Et c’est donc de là qu’est posée la question : qu’en est-il, chez Foucault, tout à la fois du savoir et de son rapport au savoir ? Qu’en est-il, chez lui, du nœud du savoir et de la volonté ? En quoi donc consiste ce qu’il appelle « volonté de savoir » ? Est-elle ordonnatrice du dispositif de sexualité ainsi que le suggère son titre ?

ÉROS-ROSÉE. L’AVENTURE (A)TEMPORELLE DU NŒUD BORROMÉEN

Claude Mercier

Cette étude qui prend pour référence Étant donnés : 1° La chute d’eau 2° le gaz d’éclairage », réalisée par Ulf Linde, assisté par Bo Larsson, Rolf Rosenberg et P.O. Ultvedt, exposé en 2014 au centre Pompidou à Paris, développe une question en jeu dans ce dialogue entre Olivier Zahm et Félix Guattari :

Olivier Zahm : – Pour finir, une question sur le temps. Dans votre réflexion avec Deleuze, il y a tout un passage sur l’idée d’événement. Pensez-vous que ce soit du côté de l’art que l’on peut chercher un autre rapport au temps ? Je cerne mieux votre rapport à l’être (mutation ontologique), mais moins votre conception du temps dans l’hypothèse d’une évolution post-médiatique ?

Félix Guattari : – On peut prendre cette question avec Marcel Duchamp, qui a marqué l’émergence d’un devenir qui échappe complètement au temps. L’événement vient comme rupture par rapport aux coordonnées de temps et d’espace. Et Marcel Duchamp a poussé le point d’accommodation pour montrer qu’il y a toujours, en retrait des rapports de discursivité temporelle, un index possible sur le point de cristallisation de l’événement hors temps, qui traverse le temps, transversal à toutes les mesures du temps.

Reprenant et transformant le mot d’art acontemporain d’Olivier Zahm, Guattari parlera d’art atemporain « où le curseur temps est ramené au point de foyer autopoïétique ».

L’Unebévue N°33 : Au loin l’Oedipe
L'unebévue 2015 / ISBN n°978-2-914596-50-3/ 216 p. / 22

Sommaire

Épilogue. Ines Rieder. Traduit de l’allemand par Sylviane Lecoeuvre
Margarethe Csonka-Trautenegg, que sa famille et ses amies avaient appelée Gretl toute sa vie, est morte en août 1999 dans sa centième année. Margarethe fut la jeune fille sans nom qui, en 1919, fit une analyse de quatre mois et au sujet de laquelle Freud, en 1920, publia l’essai « Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine ». Durant toutes ces années consacrées à l’écriture de la biographie de Gretl/Sidonie Csillag, Diana Voigt et Ines Rieder ont eu avec Gretl des échanges très forts. Elle répétait souvent à quel point elle était fière que leurs entretiens aboutissent à une biographie. La question de savoir si celle-ci devait être publiée sous son nom véritable ou sous un pseudonyme l’occupait beaucoup. Elle était également consciente de ce que l’intérêt porté à sa personne était surtout en rapport avec Sigmund Freud. Elle disait elle-même qu’il y avait quelque chose de grotesque dans la célébrité qu’elle lui devait car elle l’avait toujours considéré comme un crétin à l’esprit mal tourné.

Sidonie C., d’une édition à l’autre. Sylviane Lecoeuvre
Si on tient dans les mains les éditions de la biographie de Margarethe Csonka, on ne peut qu’être frappé des décalages successifs opérés par ces publications, aussi bien dans les modifications des titres et sous-titres que des illustrations des couvertures. Les montages éditoriaux mettent l’accent sur un enjeu essentiel, si présent chez Freud, qui est celui de la constitution d’un public. Sans oublier les péripéties des relations entre le Musée Freud de Vienne et les témoignages de Margarethe, dont Lydia Marinelli place la photo sur l’affiche de l’exposition du musée, en 2007, sur les femmes psychanalystes et les patientes de Freud.

Sidonie l’ironiste. Laurie Laufer
Quand Freud demande « jusqu’où la jeune fille était-elle allée dans la satisfaction de sa passion » avec sa « dame », il sexologise la psychanalyse, en somme, il la désérotise. Si Freud avait prêté l’oreille à Sidonie et non à « la jeune homosexuelle », elle aurait pu lui dire sa position de « lesbienne dans le siècle », telles que Walter Benjamin parlait des lesbiennes de Baudelaire comme « héroïnes de la modernité »: une femme qui aime les femmes, avec ou sans sexe. Ce qui fait trembler, aimer, rêver Sidonie, c’est son désir pour les femmes. La psychanalyse comme érotologie est la praxis du trouble dans le genre. Lorsque Gayle Rubin écrit « la psychanalyse est une théorie du genre », n’est-ce pas aussi à cela qu’elle fait allusion ? La main du baise-main n’a pas de genre. Le baise-main est indifférent sexuel. Il est soin, souci, amour. « Ah, mais c’est très intéressant ! ». Freud ne saisit pas ce que l’ironie de Sidonie permet comme permutations et changements de positions subjectives. Se refusant au baise-main, sourd au trait moqueur concernant ses explications, Freud est à cet instant de l’analyse inapte à l’amour.

Sidonie l’intempestive. Pour un devenir mineur de la psychanalyse. Fabrice Bourlez
La jeune homosexuelle resplendit dans toute son inactualité à partir du moment où elle passe du statut de paradigme analytique à celui de « personnage conceptuel », notion établie par Deleuze et Guattari vers la fin de leur collaboration : « Le personnage conceptuel n’a rien à voir avec une personnification abstraite, un symbole ou une allégorie, car il vit, il insiste ». Par sa vie et son insistance, il parvient à transformer les territoires balisés, à faire tressaillir les langues communes, à faire bégayer la pensée. Il se détache progressivement du contexte historique auquel il est rattaché pour éclairer d’un jour absolument nouveau nos existences. Sidonie prend donc toute sa puissance lorsqu’elle renvoie aux cliniciens leur question sur « le cas » exactement à l’envers, soit : lorsqu’elle les interroge sur les éventuels présupposés homophobes de leur pratique. Certes, on connaît la lettre de Freud à la mère d’un jeune homosexuel, écrite en 1935 : « L’homosexualité n’est certainement pas un avantage mais elle n’est pas honteuse, perverse ou dégradante ; elle ne peut être classifiée comme une maladie, nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle ». Mais la pratique analytique désire-t-elle, attend-elle non pas des gays et des lesbiennes en analyse mais des analystes gay et lesbiennes ? Ou bien, pour le dire avec Monique Wittig cette fois, « l’orientation de la clinique » est-elle foncièrement et constitutivement straight ?

Lire avec Margarethe. La déconstruction de l’homosexualité féminine dans les pulps lesbiens des années cinquante. Stelios Sardelas
Avec Sidonie Csillag, homosexuelle chez Freud, lesbienne dans le siècle, Ines Rieder et Diana Voigt portent un coup dévastateur à l’essentialisme qui caractérise les théories psychopathologiques de l’homosexualité féminine. Car ce serait un contresens de croire que l’homosexualité est une donnée première, une configuration stable qui préexisterait à l’analyse attendant d’être interprétée, alors qu’il s’agit d’une construction de l’analyse, d’une invention qui s’est faite à partir de Gretl, en la trahissant. Serait-il possible qu’un demi-siècle après sa rencontre avec Sigmund Freud, dans un autre pays, une autre langue, au fond d’un garage sombre et humide, Margarethe ait pu découvrir Sidonie, entourée des plus scandaleuses protagonistes de la littérature érotique de son époque ? J’imagine Gretl prenant un malin plaisir à lire les critiques de la conception freudienne de l’homosexualité féminine, Gretl en train de suivre la bataille du mouvement lesbien pour déconstruire Sidonie, Gretl tournant la page sur « la jeune homosexuelle de Freud ». Il convient alors de reconstituer les cartons de Miss Herbert et feuilleter à notre tour ces petits livres aux couvertures alléchantes, jadis honteusement lus en cachette, aujourd’hui sombrés dans l’oubli. Ils appartiennent à un remarquable phénomène littéraire et social, le pulp fiction lesbien. Pour étonnant que cela puisse paraître, c’est dans les pages des pulps que l’on trouve une mise en tension de l’actualité scientifique, littéraire, et politique avec les scandales du désir, d’où germera la plus pertinente critique de la notion d’homosexualité féminine durant les années 1950.

Lignes d’erre et cartes des présences proches. Barbara Glowczewski
Le Journal de Janmari est comme une pièce à conviction de toute la démarche de Deligny et de son équipe, dont on trouve les indices parsemés dans Cartes et lignes d’erre et toute son œuvre. Que trace Janmari avec ses cercles et ses lignes ondulées ? Les Warlpiri du désert central australien utilisent pour figurer l’eau soit des lignes ondulées soit des lignes droites, selon la trace que l’eau laisse au sol : écoulement des eaux dans les lits du désert, ruissellement des pluies, mais aussi des cercles pour figurer les sources. En ce sens les peintures aborigènes sont des cartes, mais schématisées, topologiques au sens où les vraies distances ne comptent pas, seulement les liens entre les choses. Explorer les cartes devient une sorte de thriller. À la recherche de quoi ? Peut-être de comment cerner ce sentiment ambigu de familier dans l’étrange qui peut saisir non seulement face à d’autres cultures mais n’importe où quand le langage se dérobe.

L’innocent du journal. Colette Piquet
« Mes plus fortes convictions, dès qu’elles passent à l’épreuve d’un roman, s’en trouvent contestées : la “fiction” réintroduit un réel dont mes idées se passaient très bien ! ». Cette remarque extraordinaire de Tony Duvert est une réponse à un article de René Scherer sur le Journal d’un Innocent. Ce récit est un des chefs-d’œuvre de Tony Duvert, et en effet il a pu être pris pour une autobiographie, ou pour un exposé de morale subversive à l’usage des drogués de la pensée commune, ou pour un pamphlet politique révolutionnaire. Je vais tenter de prendre Tony Duvert au mot et de montrer que le Journal d’un Innocent n’est rien de tout ça, que sa raison d’être est, comme le revendique son auteur, totalement littéraire. Ce qui n’empêche pas que, de surcroit, ce beau livre difficile puisse être considéré aussi comme un pamphlet politique.

L’événement Schreber. Gonzalo Percovich. Traduit de l’espagnol par Ana Guarnerio
« Je me défends expressément et décidément d’être un aliéné », écrit Schreber, et il ajoute : « J’ai déclaré que je ne contestais nullement qu’il existât chez moi une maladie mentale au sens de maladie de nerfs ; néanmoins, j’ai strictement fait le départ entre les diverses significations que peut revêtir le mot d’aliéné suivant qu’il est employé par le médecin ou dans son sens juridique ». Dans ce contexte discursif, Schreber postule une différence radicale entre le domaine du savoir médical – plus spécifiquement, du savoir psychiatrique –, et le domaine du savoir juridique. Son geste est celui de quelqu’un qui connaît les lois sur le bout des doigts. Il fut l’un des juristes chargés d’unifier les différents codes légaux qui existaient à son époque dans les royaumes de la région. Mais il faut à n’en pas douter comprendre également ce geste comme un geste politique. Le texte schrebérien est aussi la description exhaustive de ce qu’il vécut lors de ses internements en asile psychiatrique. Le dessin des plans des hôpitaux est frappant. Schreber montre la distribution spatiale, les lieux d’isolement et de classement diagnostique, les espaces de détente et de réclusion. Un véritable tableau de ce que vivent les malades mentaux à l’intérieur des murs d’un asile. Le cas Schreber est un cas-événement au sens foucaldien : un cas qui se joue dans la tension d’une microphysique du pouvoir. Ou comme le dit Judith Revel : le cas, c’est alors précisément ce qui semble ne pas vouloir rentrer dans les mailles de notre grille interprétative, c’est-à-dire, ce qui s’impose dans une singularité absolue, ce qui échappe à l’ordre et affirme, au rebours des processus d’identification et de classification discursifs, l’extra-ordinaire, le dehors de l’ordre, la rupture, l’interruption ; une existence qui n’est plus seulement réduite à la production d’une parole extra-ordinaire, mais qui s’élargit à des pratiques et à des stratégies d’existence.

Délirer l’élangue. Susana Bercovich
Qui délire ? Lortie ? Ou plutôt une culture qui se veut bilingue mais dont l’une des langues est discriminée ? (déjà discriminée du fait qu’il s’agit d’un français ancien). La langue en objet de négociation, au centre de l’ordre politique, cela a quelque chose d’affolant, signe de fausse division entre le subjectif et le politique. Si les Québécois ont le sentiment d’une fin du français, alors Lortie est le cas du Canada, ou du Québec, ou du français au Québec, ou d’un système dans lequel nous sommes tous pris d’emblée.

Til Madness Do Us Part . Wang Bing. Marie Jardin
Je veux juste pouvoir continuer à faire des films. Les possibilités de mon corps risquent d’être de plus en plus limitées à l’avenir. La Chine vit l’époque la plus catastrophique de son histoire. Je ne manque donc pas de sujets. Les malades que montre Til Madness sont des gens ordinaires, des petites gens qui ne laisseront pas de trace dans l’histoire. Leur nom n’a de sens que pour leurs familles. Il disparaîtra après leur mort. Je les ai nommés car je trouvais que le film était un endroit intéressant pour les faire exister. Le cinéma offre un style, il permet de transmettre une expérience à laquelle il ajoute une dimension artistique. Pour Til Madness, je suivais des personnages ou des sentiments. Jour après jour, je continuais à filmer des malades sans avoir aucune idée du moment où je pourrais m’arrêter. C’était très angoissant. Le film que je tournais était interminable, j’ignorais de quelle matière j’avais précisément besoin. Même si je savais bien par ailleurs que l’hôpital nous avait autorisés à rester pendant trois mois seulement. Comment, avec une centaine de cassettes, structurer la narration, lui donner un style ?

Quand Lacan serine soixante-six fois l’Unebewußt. Claude Mercier
« Supposez que quelqu’un entende le mot Unbewußt répété 66 fois et qu’il ait ce qu’on appelle une oreille française. Si ça lui est seriné, bien sûr, pas avant, il traduira ça par Une bévue ». La serinette était un petit orgue mécanique qui servait à apprendre des airs de chansons aux serins. Alors cette ritournelle, cette parole vide, est-elle suffisante pour sortir du cristal ? Je doute qu’une voix d’ordinateur répétant inlassablement sur le même ton « unbewußt » puisse nous faire sortir du cliché, on en resterait à la ritournelle avec cet ordinateur fait de 0 ou de 1. Par contre, comme pour le Boléro de Ravel, il faudrait un galop pour passer de l’unbewußt à l’unebévue, nous permettant ainsi de sortir du cristal, de l’image-cristal sonore et ne plus être pris comme la mouche dans l’ambre. Un changement de vitesse et la reprise de la ritournelle se fait suivant un galop, et la fin, cassage de la ritournelle : unbewußt… unebévue… une bévue.

L’Unebévue N°32 : Inéchangeable et chaosmose II – Désarticuler le discours succube du signifiant
L'unebévue 2014 / ISBN n°978-2-914596-48-0/ 187 p. / 22€.

Sommaire

Adversus marionem. Oriane d’ontalgie. p. 11
Pour trouver ce qui est authentiquement de Jean-Luc Marion dans Le Phénomène érotique, il faut remonter à son problème : « Que se passerait-il si un adonné se trouvait mis en cause non par un donné simple, mais par un phénomène se donnantet se manifestant qui soit lui-même un autre adonné ? ». Ce qui, dans l’érotisme, se donne, selon Marion, c’est donc, encore et toujours, un phénomène. De sorte que si nous voulons trouver, nous, non des phénomènes de partenaires, mais des partenaires, nous devons (laissant à leur inventeur les « adonnés » de Marion dans son théâtre d’ectoplasmes) réintroduire ici ces êtres qui, dans la description du don, se sont, grâce à Klossowski, révélés inéchangeables. Simplement nous les voyons réapparaître ici avec leurs attributs érotiques : Vittorio avec son sed contra, Roberte avec son vacuum, son utrumsit et son quidest. La théorie de l’érotisme, après la performance de Marion, a besoin d’une bonne cure de Klossowski.

Natascha Kampusch : je ne vois pas les choses de cette façon. Anne Marie Ringenbach. p. 39
Natascha Kampusch, une victime évidente qui refuse de se proclamer telle. Branlebas de combat chez les paparazzi, réserve offusquée ou pincée des experts. Chaque fois qu’on veut lui imposer cet habit de monstre contemporain, l’être-victime, et tout l’attirail qui va avec, l’inflation victimaires dont on se délecte à souhait, syndrome de Stockholm, jouissance de la soumission, etc., Natascha Kampusch répond : « Je ne vois pas les choses de cette façon ».

Carmelo Bene… Poète histrion-cabotin. lauzerouaud. p. 59
Dans sa vie Shakespeare lui-même a été un spectacle ; il faudrait être un beau salaud pour lui refuser l’infidélité qui lui est due. Contre le devoir de fidélité conjugale au texte, Carmelo Bene mêle les textes, les auteurs, les langues, épuise et découd les phrases, déchire les mots, désarticule le discours succube du signifiant, pour ne jamais être à la merci du simple signifié… Il cite souvent une phrase d’Oscar Wilde : l’imagination imite, l’esprit critique crée. On imagine avec ce que l’on sait, ce que l’on connaît, ce que l’on a. Critique, on désenchaîne les atomes emprisonnés par/dans une forme stabilisée et homogène. Mais la soustraction critique reste morte si elle n’est faite que sur le texte écrit, sur l’écrit de l’oral-mort. Elle doit être réinventée dans l’instant de l’acte sur scène, dans l’acte d’ôter de scène. Le geste d’amputation fait sur le texte pour soustraire la domination de la langue sur la parole ne suffit pas, il faut l’infliger à la parole même : l’ennemie, c’est la parole jamais décantée, jamais chantée, jamais niée, jamais persécutée, et jamais assez persécutée. On a nié le chant.

Texte couteau. Colette Piquet. p. 83
L’enfance et l’écriture usent d’un imaginaire identique : elles créent inconsidérément le réel, elles le mettent en pièces, le reforment, s’y adonnent dans cette illusion et ce dédoublement propre au jeu, où l’on fait semblant pour de bon, écrit Tony Duvert. La petite fille de Portrait d’homme couteau a-t-elle fait l’objet d’une création inconsidérée de réel, de sa mise en pièces, de sa re-création, de ce qu’Henri Michaux nommerait un exorcisme par ruse ? Le deuxième Portrait d’homme couteau a conservé des traces insolites du passage de la petite fille disparue. Les rubans bleu et or, les mèches de cheveux soyeux. Et aussi des images fugitives, des restes de maisons, d’espaces, de pluie, des sensations. Et puis les fleurs, toujours ces fleurs laides, niaises, abhorrées. Obsédantes.

Quand toute signification cède. Rosine Liénard. p. 115
Tony Duvert dit comme en un poème la ville, les murs, la route, la nature. Nous suivons l’errance des personnages, en fugue de la famille, de l’ordre social, en fugue musicale, chaque élément, nature, personnage, événement, devenant l’objet de reprises, de devenirs. Essayant de suivre un récit, nous sommes mis sous tension : qui parle, qui guette, qui chasse, qui manipule et se joue de l’autre, on perd le fil. Subversion de notre lecture, de notre regard, identités défaites. Lecteurs, nous voici désorientés, inquiétés, parfois même foudroyés, mis au coeur du projet d’une écriture qui « attaque » le lecteur. Ce projet, Duvert le poursuivra jusqu’à son dernier livre, il n’en démordra jamais.

La grève des écoliers en Angleterre en 1911 : un chaos créateur jubilatoire. Anne-Marie Vanhove. p. 123
Dans ce moment particulier de 1911, quelque chose de paradoxal s’est produit qu’il faut souligner : une identification des enfants au monde adulte : ce mouvement de masse des enfants prend sans doute racine dans le mouvement de masse des ouvriers en grève au début de l’année 1911; et simultanément une désidentification, conséquence d’un processus de subjectivation des enfants qui se sont arrachés de la place qui leur était assignée, celle de n’être que future chair à canon, futur ouvrier, futur reproducteur..

Notre société capitaliste sadienne. Anne Marie Ringenbach. p. 137
Tony Duvert analyse le sadisme comme la démence de l’État sadien – le capitalisme, sa dépense effrénée. Il ne se rencontre pas que dans la guerre, la violence, le camp de concentration, la torture, Duvert n’y reconnaît là que les crises de cette structure sadienne permanente de notre société, et il démonte l’équilibre, l’harmonie, la paix et la prospérité de chaque groupe que domine et gère un État comme étant foncièrement organisé selon le schéma sadien de détournement de désir : dans cette société capitaliste sadienne, nous subissons toujours cet ordre social dont le désir est détourné, capitalisé, redistribué et en cela en constitue les assises et sa force. Le sadisme n’est donc pas à rechercher au sein des monstres que nous désigne la psychopathologie, découpeurs d’enfants ou étrangleurs de putains car le désir sadique « est surenchère, voire simple redite, du désir qui est passé avant lui et qui a construit l’ordre sur lequel il s’appuiera lui-même ». Notre libido est ce déchet ou ce dividende de désir que le système nous donne en gestion mais avec un mode d’emploi impératif : aimer, épouser, familialiser, acheter, enclore.

Hors [syn]thèse, ou l’enfance queer. Marie Jardin. p. 157
Alors, je vous le demande, y a-t-il quelqu’un, dans les universités françaises, qui ait fait passer un diplôme de maîtrise en lettres sur Tony Duvert dans les années 1990 ? En Italie, oui ! Tony Duvert : Journal d’un innocent (Quand la pédophilie entre en littérature), Pasqualina Cirillo, Thèse de maîtrise (laurea) en langue et littérature française. Année 1994-95, Institut universitaire oriental, Naples, Faculté de lettres et Philosophie. Duvert avait la préoccupation qu’écrivant des choses qui
par elles-mêmes sont tout à fait marginalisées, qu’au moins leur mode d’expression soit tel que ça circule. Pasqualina Cirillo leur a donné, à sa façon, un mode de circulation.

Cahier de l’unebévue en supplément gratuit pour les abonnés :

Légender Dustan. Ouvrage collectif

L’Unebévue N°31 : Inéchangeable et chaosmose I – La fêlure de l’immanence
L'unebévue 2014 / ISBN n°978-2-914596-41-1/ 163 p. / 22€.

Sommaire

La fêlure de l’immanence 1966 Foucault-Lacan. Frédéric Rambeau. p. 11
Que ce soit dans les dispositifs de visibilité foucaldiens ou dans la pulsion et le fantasme lacaniens, si la question de la subjectivation peut s’éprouver dans le visible, autant sinon plus que dans le dicible, c’est en tant que ce visible est domaine ou régime de signes, avant même d’être milieu physique ou champ optique. Mais les signes en question, signes « du » visible, ne sont pas des signes signifiants, ils ne sont pas signes de langage. Chez Foucault, les visibilités ne sont ni des signifiés ni des référents. Le signe est précisément ce qui porte en lui la césure du visible et du dicible, du langage et de la lumière, l’inscrivant à même le réel, à la surface des choses. La subjectivation se produit dans l’écart de l’immanence avec elle-même. Elle n’engage donc rien d’un retour à l’immanence ontologique traditionnelle, définie comme identité de l’être avec lui-même. « Conversion du regard » : c’est d’un même mouvement que la transcendance du sujet a été projetée à la surface de l’ensoi, et que cette surface simultanément s’est fêlée, qu’elle s’est constituée comme fêlure.

Minutes de la corniche. Marie Jardin.p. 39

Le 7 octobre 2013, à Marseille.
“D’un signe à l’autre”. Quand Guattari entreprit de problèmatiser l’enseignement de Lacan.
Mayette Viltard. p. 41

Deleuze et Guattari sont parmi les très rares chercheurs fondamentalement concernés par la psychanalyse, et qui problématisent l’enseignement de Lacan. Et ce, non par consensus, mais par dissensus radical : ils ne s’y opposent pas, ils ne le relativisent pas, ils construisent une question. Ainsi, quand Guattari écrit à Lacan en 1961, ce qu’il amorce est rien de moins que problématiser le trait unaire (« un bataclan à la 6-4-2 »), et par là, remettre en cause la thèse de Lacan de la lettre comme structure essentiellement localisée du signifiant ! Il faudra attendre les années soixantedix pour que Lacan fasse ses déclarations « fracassantes », comme « Rien ne permet de confondre, comme il s’est fait, la lettre avec le signifiant » ou encore « Le semblant c’est le signifiant en lui-même », ou plus tard « le signifiant, c’est-à-dire ce qui se module dans la voix, n’a rien à faire avec l’écriture » etc. Et de définir le trait unaire comme droite infinie « avec le trou tout autour »

Le Parlem, la langue non écrite du caporal Lortie.
Marie-France Basquin. p. 67

La langue de Lortie, telle qu’on l’écoute dans les enregistrements qu’il a réalisés la veille de son crime, est comme la musique de Dusapin. Les interstices, les écarts, les silences créent l’espace d’une autre musique, quelque chose s’arrête un peu et dans les bords d’une brèche de l’écoute un autre probable se découvre, la traversée d’une errance corporelle-langagière. La langue de Lortie l’emporte loin de luimême, prenant en elle la charge des sensations, des émotions qui le débordent et surgissent au hasard, lignes de fuite sonores intensives. Dernier geste lors de son crime, dans l’instant où il s’arrête de tirer, comme d’autres jetteraient leur arme en signe de reddition, Lortie jette son dentier. Il nous aura enseigné comment la langue s’incarne jusqu’à l’affolement.

Quatre leçons proposées par Foucault à l’analyse.
Jean Allouch. p. 85

La première leçon est un croisement, elle porte sur la discursivité. La deuxième un déplacement, elle interroge le désir envisagé comme soulèvement. La troisième une opposition, elle situe la libre association par contraste avec la parrhêsia. La quatrième une invitation, elle lie, en plein accord avec Lacan, langage et folie.

Frère d’anonyme.
Françoise Jandrot. p. 103

L’analyse de l’archive comporte une région privilégiée : à la fois proche de nous, mais différente de notre actualité, c’est la bordure du temps qui entoure notre présent, qui le surplombe et qui l’indique dans son altérité ; c’est ce qui, hors de nous, nous délimite. « Archive », c’est aussi un chapitre de l’inclassable livre de Philippe Artières Vie et mort de Paul Gény.

Le crâne de Lacan. Voyage anomalique dans les archives de la psychanalyse.
Mayette Viltard. p. 123

Certains croyants disaient que le « fameux » rapport Turquet avait définitivement scellé le sort de Lacan en juillet 1963. Or, le Rapport, archivé on ne sait-z-où, dans une pyramide, paraît-il, était INTROUVABLE. Et voilà qu’on pouvait soupçonner qu’il diffusait des miasmes qui rendaient notre lecture de Lacan changeante, fluctuante, rêveuse même. En fait, ce Rapport faisait des histoires.

L’archonte, les dindons, émois, et moi, et moi.
José Attal. p. 125

Vouloir accéder à certaines archives ne va pas de soi, cela nous le savions, mais demander à ouvrir à moitié, un peu, à peine, un demi-siècle plus tard, un placard nous concernant – le nous ici désigne au moins les psychanalystes lacaniens – s’est avéré être une drôle d’aventure plus de vingt années durant, car le placard en question était devenu une véritable sépulture, que dis-je, un tombeau dont on attendait qu’il accueille les derniers corps. « Dear, lire le rapport Turquet, vous n’y pensez pas, certains témoins sont encore vivants » m’a vertement fait savoir l’archonte ipéesque. Circulez, il n’y a rien à voir. Le rapport Turquet qui en 1963 scellait le
sort de Jacques Lacan resterait dans la tombe. À moins que.

S2, Un signifiant hors-page. À la recherche de la chaîne signifiante.
Claude Mercier. p. 141

« À supposer que vous ayez inscrit sur cette page blanche – à condition qu’elle soit page, c’est-à-dire finie – la totalité des signifiants, ce qui est après tout concevable puisque vous pouvez choisir un niveau où il se réduit aux phonèmes, c’est hors de la page blanche que [sera] le S2, celui qui intervient quand j’énonce “le signifiant c’est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant”. Cet autre signifiant, le S2, sera hors-page ». Cette proposition de Lacan peut être reprise avec la problématique du noeud borroméen, en suivant cette fois Gilles Châtelet, et sa façon de prendre le noeud borroméen comme diagramme, comme laïcisation de l’invisible. On peut alors soutenir que les noeuds borroméens ne s’enchaînent pas, mais se réenchaînent comme une chaîne de Markov, ré-enchaînement sur coupure irrationnelle, et ce qui reste d’association, de chaîne signifiante passe dans cette coupure irrationnelle, mutation de la chaîne signifiante. Nous ne sommes plus dans un espace euclidien, mais dans un espace probabilitaire semi-fortuit, espace à la fois topologique et probabilitaire.

Les rêves de Crazy Horse.
Sherman Alexie traduit par Nicolas Plachanski. p. 147

« C’est bien ma veine », dit elle. « Un Indien éduqué ».
« Ouais », dit-il. « Université de la Réserve ».
Ils rirent tous les deux de la vieille blague. Tous les Indiens sont d’anciens étudiants.

Une gestion collective des rêves : extractions déterriotorialisées.
Abrahão de Oliveira Santos. p. 151

Un jour, inspiré de la tradition des Aborigènes d’Australie, j’ai décidé de rassembler des personnes qui consentaient volontiers à raconter des rêves. Ça a déclenché la création de « L’atelier de gestion collective de rêves », avec des étudiants en psychologie à Rio de Janeiro. Attirés en général par la curiosité, ils ont répondu à l’invitation et voulaient savoir comment l’on pouvait travailler le rêve collectivement, le considérer comme non individuel et non symbolique ?

Cahier de l’unebévue en supplément gratuit pour les abonnés :

Le rapport Turquet. Préface de José Attal, traduction et notes de Luc Parisel

En vente séparement en librairie ou sur http://www.unebevue.org/

L’Unebévue N°30 : Aujourd’hui, Dieu c’est nous
L'unebévue 2012 / ISBN n°978-2-914596-38-1 / 256 p. / 22€.

Sommaire

– MTB. Adolpho Bergerot. p. 9
… non, je mens, c’est bien en 2011 que je pus confirmer que Lacan était mon grand-père et que tout a commencé. Enfin, tout, c’est un peu trop. Quand je dis tout, je veux dire que c’est à ce moment-là que je découvris que ma grand-mère paternelle – que je n’ai jamais connue – fut la première maîtresse de Lacan, et que l’enfant qu’ils eurent, caché, jusque-là secret, était mon père. Ce que j’entrepris alors fut une reconstitution.

Parceque mon père a toujours dit… Sherman Alexie, traduit par Nicolas Plachinski. p. 23
Ton père a toujours été à moitié fou, me dit ma mère plus d’une fois. Et l’autre moitié prenait un traitement…

La question de l’être et la valeur de la vie. Anne-Marie Ringenbach. p. 31
La formule avancée par Guattari, « Aujourd’hui, Dieu c’est nous », vient pointer notre responsabilité actuelle dans la question de l’Être. Guattari avance cette formule avec ses concepts, ceux formés avec Gilles Deleuze, de déterritorialisation, de circuits rhizomatiques, d’énonciation collective, qui lui donnent son assise et écartent tout contresens quant à l’interprétation à donner à cette place prise à Dieu par les hommes. « Aujourd’hui, Dieu c’est nous » s’entend bien sûr à l’aune de la question de la mort de Dieu et la position centrale de cet énoncé dans la philosophie de Nietzsche.

Workshop sur l’entretien de Félix Guattari à la télévision grecque. Transcription établie par Mayette Viltard. p. 53
En vue du workshop du 10 mars 2012, au bar-forum de l’Entrepôt, à Paris, j’ai envoyé les vidéos de l’entretien de Félix Guattari avec G. Vestlos, de 1991, diffusé en 1992, disponibles sur youtube, à tous ceux qui fréquentent habituellement Place Publique. J’ai reçu beaucoup de mails témoignant de la difficulté de certains, intéressés par ses travaux, à véritablement entrer dans ses écrits. La matinée a été consacrée au débat, et l’après-midi, des échanges très animés se sont entremêlés avec la diffusion des images et la présence de Félix Guattari à l’écran.

Notes pour le workshop sur l’entretien avec Guattari. Anne-Marie Vanhove. p. 109
Examinons de près le rapport entre les trois composantes des « tourniquets » : le concept, le réel appelé événement ou lutte des classes, et le désir ; la philosophie, la politique et la psychanalyse. Le « tourniquet des concepts » est composé des deux premières, et celui « du désir », de la première et de la troisième. Notre intérêt est d’observer ce qui se passe entre les composantes avant qu’elles n’aient deux points nodaux, deux « tourniquets ». Il s’agit d’un rapport à trois termes, d’un système de trois « lieux », qui produit deux sortes de rapport à deux termes.

Elles sont fragiles, les relations ! Xavier Leconte. p. 117
Quelques mots à propos de ce que Deleuze qualifie de coup de tonnerre dans la philosophie : les relations sont par nature extérieures à leurs termes, et de ce qu’il dit dans son cours de décembre 1982 : « Tapez pas sur les relations, c’est du fragile. Tapez tant que vous voudrez sur les attributs, c’est du solide ! Mais les relations, oh là là !… ».

Dieu à l’étable. Nunzio d’Annibale. p. 121
Il y a un texte d’Artaud, Les mères à l’étable. On est en 1946. Artaud note que ce texte est un rêve.
– Une esthétique immanente, une esthétique de l’existence. Françoise Jandrot. p. 125
C’est dans Différence et Répétition que René Schérer trouve les arguments critiques qui démontent l’interprétation de l’Éternel retour, de Nietzsche, par Heidegger. La position de Deleuze, souligne Schérer, rompt avec ce que serait une nouvelle lecture « nietzschéenne » de Heidegger pour passer à de nouveaux repères et à un autre ordre d’affirmation.

Bonhomme de vent. Marie Jardin. p. 141
Au dos du DVD de Sima Khatami, Boris Charmatz a écrit : « Il y a une littérature qui est encore de la danse, et dans le cas de Hijikata, celle-ci n’est pas seulement méconnue, elle est inouïe, elle n’existait pas encore. Nous sommes soudain face à un trésor qui déchire les représentations ».

-Littéralité : diagramme et analogie esthétique. Claude Mercier. p. 147
Annonçant les thèmes de sédentaire et de nomade, Deleuze va les lier respectivement à la représentation (l’analogie) et à l’univocité. La représentation implique l’analogie de l’être alors que l’univocité de l’être et la différence individuante sont hors représentation. Univocité, nomadisme, actuel/virtuel, et jugement, feront toujours partie des analyses de Deleuze, seul ou en compagnie de Guattari. Les deux figures de l’analogie (de proportion et de proportionnalité) ne conviennent pas à cette écriture à même le réel – à la lettre – ni analogie ni métaphore. On est comme prisonnier du quadruple carcan de la représentation. La problématisation porte sur une possible sortie de la similitude productrice de ressemblance.

Trans/vers/alice aux pays des esquizos. Alicia Guerrera Diaz. p. 187
La création, par opposition à l’oeuvre finie, projette, du sujet, quelque chose qui est à décrypter, un pré-antérieur au transfert possible. Nous n’avions pas idée de l’ampleur que cela allait prendre dans un atelier avec les esquizos et débiles mentaux.

Quand Michel Foucault invitait les psychanalystes à jouer. Michèle Duffau. p. 193
Dans le laboratoire comportementaliste mondial, l’autisme faisait office de dernier résistant, mais une fois renommé et reclassé, il peut – enfin – être disponible pour les opérations de la Grande Équivalence, de l’Homogénéisation, qui ne produisent de la différence que pour la digérer et transformer en Prestations les grands problèmes de l’existence. Par on ne sait quelle impuissance à penser ce qui se passe, ou peutêtre en raison d’un passif qu’il s’agirait de lever, il faut bien constater que Michel Foucault manque cruellement dans le débat !

Tissage. Jocelyne Lagand. p. 201
Passage Verdeau, dans un cabinet de curiosités devant lequel je passais depuis des années, était exposée une créature osseuse et molle, cousue ou infibulée, qui m’avait piquée dans la chair.

Collures : du cinéma expérimental à l’anthropologie. Barbara Glowczewski. p. 203
Félix Guattari n’avait pas imaginé à quel point l’image – art, installation ou cinéma – et la critique de sa représentation ethnocentrique feraient l’objet d’une réappropriation par les peuples colonisés, subalternisés et d’autres résistants au Capitalisme mondial intégré, mais il avait eu l’intuition et l’espoir de ce potentiel de créativité au début des années « d’hiver », espoir revenu à la veille de sa mort lorsqu’avec ses propres mots – mais aussi ses yeux –, il dit être sorti d’une dépression.

L’art comme transport-station du trauma. Bracha L. Ettinger traduction Dimitra Douskos. p. 215
Je propose d’ajouter l’idée de non-vie et les idées de décalantbord, reliantbord, et espaçantbord féminins au coeur de la pensée au sujet du moment créatif et de son « âme », au moyen d’un type différent de femme-Autremère-archaïque-Chose. Ceci signifierait, pour paraphraser l’expression de Lacan, une vie qui pourrait être vécue ou pensée, depuis la place de cette limite où la vie est encore à venir, où elle est déjà sur l’autre rive, mais d’où elle est vue et vécue dans la forme de quelque chose qui n’est pas encore ici en temps ou en place.

Dessin, peinture, carnet. Bracha L. Ettinger. p. 234

Du transfert au paradigme esthétique : Conversation avec Félix Guattari. Bracha L. Ettinger. p. 247
En 1989, j’ai interviewé plusieurs amis psychanalystes au sujet de l’état de la psychanalyse en France « après Lacan », et entre autres, Félix. Ce qui m’intéressait particulièrement était d’apprendre quelque chose sur les résidus du transfert qu’ils avaient effectué sur Lacan à partir de la scène parisienne, lieu tellement spécifique, tellement extraordinaire, avec ce qui m’apparaissait alors comme une espèce particulière de susceptibilité et même de violence plus ou moins contenue.

L’Unebévue N°29 : LACAN DEVANT SPINOZA CRÉATION / DISSOLUTION
LACAN DEVANT SPINOZA Création/Dissolution
L'unebévue 2012 / ISBN n°978-2-914596 / 22€.

Sommaire

Il y avait une erreur quelque part. François Matheron

Louis Althusser et le « groupe Spinoza ». François Matheron
Derrière la reprise de la philosophie conçue comme tâche politique numéro un se dissimule sans doute une transformation beaucoup plus profonde de l’idée même de politique, immédiatement vécue comme impossible, et le « groupe Spinoza » est peut-être, avant tout, un groupe Machiavel dénié. Le « Spinoza » en question est un Spinoza machiavélisé. On le sait aujourd’hui : Althusser s’est profondément identifié, souterrainement, à Machiavel : lorsqu’il réfléchit sur lui-même, il y a toujours Machiavel en toile de fond, et lorsqu’il travaille sur Machiavel, il pense toujours en même temps à lui-même.

Le sujet du sacrifice : Lacan devant Spinoza. Gabriel Albiac
Nous avons fait le détour par Spinoza – écrivait Althusser– pour voir un peu plus clair dans le détour de Marx par Hegel. Lacan ne se trompait pas lorsqu’il voyait, en 1964, dans ce rapport à Spinoza, le point d’accord avec ce renouveau du marxisme qui trouvait son noyau chez Althusser dans les années 1960. Il y a du malentendu là, peut-être. Il faudrait, toutefois, prendre le risque de jouer sur ce problème. Il fixe un point de non-retour dans l’histoire du marxisme, mais aussi dans la formulation définitive de la refondation lacanienne de Freud : le spinozisme comme lieu obligé d’une théorie matérialiste de la subjectivité.

Court billet. Jean-Paul Abribat
Si dans la philosophie, et éminemment celle de Spinoza, la psychanalyse a à reprendre son bien, elle ne peut le faire qu’en perdant la philosophie, et éminemment Spinoza, mais elle ne peut le faire que de traviol.

Deux « tourniquets » ou une Topique : Althusser comme missing link entre la philosophie, la psychanalyse et la politique. Yoshihiko Ichida

Examinons de près le rapport entre les trois composantes des « tourniquets » : le concept, le réel appelé événement ou lutte des classes, et le désir ; la philosophie, la politique et la psychanalyse. Le « tourniquet des concepts » est composé des deux premières, et celui « du désir », de la première et de la troisième. Notre intérêt est d’observer ce qui se passe entre les composantes avant qu’elles n’aient deux points nodaux, deux « tourniquets ». Il s’agit d’un rapport à trois termes, d’un système de trois « lieux », qui produit deux sortes de rapport à deux termes.

Fragments de la machine d’écriture d’Althusser. Les lettres à Franca. Marie-France Basquin
Malgré l’enchantement du style et la richesse des propos, force est de constater qu’un envahissement progressif oblige, à plusieurs reprises, à arrêter la lecture, à délaisser ce livre imposant de plus de 700 pages. À travers les mises au point récurrentes de Louis à l’occasion des rendez-vous avec Franca, rendez-vous prévus, rêvés, et parfois annulés par lui ou par elle, les lettres, insidieusement, créent peu à peu un enfer. Quelle machine à lettres s’est donc mise alors à fonctionner, entre eux, et pour le lecteur ? On pense évidemment à Kafka, et à la si belle étude de Deleuze et Guattari. S’agirait-il de la même sorte de machine littéraire ?

Le concept est-il l’apanage du philosophe ? Stéphane Nadaud
S’il est une question que pose le livre d’Attal, La non-excommunication de Jacques Lacan, c’est bien celle du concept. Pluriel plutôt que singulier : questions quant à sa construction, ses déplacements, ses transformations, ses dénominations. Sautant de Spinoza à Lacan (avec ou sans Spinoza), de Machiavel à Althusser (avec ou sans Machiavel), d’Althusser à Lacan et de Lacan à Althusser, le livre de José Attal invite à se demander, de l’Amor intellectualis Dei au désir de l’analyste, passant par le prince, si tout cela est encore, in ou out la philosophie, une question de concepts.

Un flagrant délit de légender. Mireille Lauze et Jean Rouaud
Pour Gilles Deleuze il y a le cinéma politique classique qui exalte la présence d’un peuple existant, et le cinéma politique moderne, celui de Pierre Perrault, qui «contribue à l’invention d’un peuple là où le maître a dit : pas de peuple ici ». Le cinéma de Perrault est exigeant : voir ce peuple qui manque, peuple mineur et invisible, exige un décentrement du regard car il est plus facile d’enfermer l’autre dans une identité culturelle représentée que de le saisir dans le mouvement d’un peuple à venir.

Une expérience palpitante. Yan Pélissier
Le 22 novembre 2011, Stéphane Nadaud était l’invité de Book-en-train à l’hôpital de jour pour adolescents de la rue Bayen, à Paris dans le 17e arrondissement, pour un débat autour de son livre Fragment(s) subjectif(s).

La guerre du soin n’aura pas lieu. Nunzio d’Annibale
J’ai donc écrit mon mémoire de Master 1 sur le déménagement du Centre de jour de Chatelet-Les-Halles, au 5 rue Saint-Denis dans le 1er arrondissement, sur une péniche dans le 12e. Un mémoire de psychologie clinique sur une question aussi futile, sur un déménagement, je peux vous dire que ça n’a pas plu à tout le monde.Vous avez dû lire un tas de petits articles plus idiots les uns que les autres, sur le sujet. Ce bateau fait un tabac. Ça enfume la Psychiatrie. Après n’avoir parlé que des schizophrènes meurtriers et des Unité pour Malades Difficiles, les voilà qui nous font le coup de la croisière s’amuse. Poor Adamant!

Lacan en crise. Fantaisie. Christian Simatos
La façon dont Lacan jouait de sa personne déconcertait. C’est cela qui produisait la question « que me veut-il ? ». Question que je pourrais formuler autrement : quelle est cette dette qu’il creuse en moi par un discours qui me parle sans s’adresser à moi et auquel je manque à savoir répondre ? Vous voyez que nous ne sommes pas loin du discours amoureux. Il va sans dire que je n’ai pas adopté cet éclairage sans un s&e