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Détressées : Psychanalyse//Folie//Psychiatrie ?

Atelier/Forum


Dernière date

24 Juin 2019 - Nantes

Michel Foucault, en conclusion de son exposé admirable des écrits de Cassien, dit de ce dernier qu’il est « témoin, beaucoup plus qu’inventeur 1». Sans grand risque de se tromper, on peut reconnaître dans ces désignations -un autoportrait, glissé comme en passant ?- une invitation discrète de Michel Foucault à s’attacher au témoignage plutôt que de viser à l’invention. Le familier des colloques est tout de suite renvoyé à cette ritournelle qui anime les psychanalystes depuis la disparition de Lacan: « il faut réinventer la psychanalyse ». Et l’on sait la suite: on sous-entend que rien ne serait inventé. Or, dans ce chapitre des Aveux de la Chair, la « réduction » de Foucault au témoignage semble renforcer la portée heuristique de l’exposé. En effet, ne s’y exprime rien de moins que le processus de subjectivation à l’oeuvre au quatrième siècle après J. C., – dont les psychanalystes sont les héritiers directs. Pourquoi le récit brut de Foucault porte-t-il tant à penser, non seulement sur l’histoire, mais aussi sur ce qui rend la psychanalyse inscriptible dans cette histoire jusqu’au coeur de sa pratique ? Le témoignage historique foucaldien tend à rendre compte de façon précise d’un objet (ici un corpus de textes), dans une pratique discursive qui élude majoritairement le commentaire et la glose. Vaudrait-il comme modèle pour une sorte de rafraîchissement de la méthode freudienne, à l’aune de ce que Foucault produit en philosophie ? Une épure ? Un rebroussement ?

Le frayage de Lacan est marqué de ce que l’on pourrait nommer, une série de « rebroussements », jusqu’aux années 70 du moins. Lorsque Lacan quitte l’IPA, n’est ce pas un « rebroussement » qu’il opère ? Il s’agit pour lui de dégager la chose freudienne des dérives adaptatives qui ont envahi le champ freudien. Il en appellera à un « retour à Freud », en débroussaillant2. Ses coups de cisaille pour dégager l’objet de la psychanalyse ne sont certainement pas sans rapport avec ses séances raccourcies qui dans sa pratique marquent un rapport autre à l’objet3. La théorie et la pratique sont un même mouvement.

On peut désigner aussi sous ce mot de rebroussement un certain nombre d’autres tournants théoriques (le modèle en sera la bouteille de Klein), jusqu’à ce que Lacan aille vraiment au bout du rebrousse-poil lors de la « Dissolution » de son école.

S’agit-il encore aujourd’hui d’interroger un rebroussement nécessaire ? C’est ce qui fera l’objet privilégié de l’atelier de cette année sans que rien ne puisse se prédire d’un « comment ». Mais l’on peut partir d’un constat : celui de l’aplatissement de la
psychanalyse sur une psychopathologie, autre forme adaptative, elle aussi associée au pouvoir médical comme en 1953, qui fait circuler un « savoir » autodestructeur. Petit double de la psychiatrie, ossature de la psychologie, elle semble avoir de nouveau
perdu en route son objet.

Du côté de la psychiatrie, le rapport à la folie a évolué lui-même dangereusement, évacuant presque toute parole et substituant à l’analyse clinique, une nomenclaturecodée. Les deux disciplines laissent alors la « folie » aller seule. Ce n’est pas simplement
une façon de dire : on le sait, nombre de personnes ne rencontrent jamais quiconque à qui ils puissent adresser une parole, se retrouvent dans la rue, dans des foyers sociaux, ou simplement dans l’isolement de leur famille ou d’un logement.

S’ébrouer !
S’ébrouer est un geste. Somme toute, ne nous sommes-nous pas laissés rouer par des fictions successives ? Qu’est-ce qu’une erreur en psychanalyse ? Quel est le statut du savoir ? Quelle pratique du savoir mener ? Un parti pris d’ignorance. Jean Allouch, pose cette question : « Comment Lacan aura-t-il pu -s’il l’a pu – toucher définitivement aux fondements eux-mêmes de la psychanalyse et donc porter atteinte à bons nombres de postulats freudiens sans que pour autant, la psychanalyse ainsi recomposée ait cessé d’être freudienne ?4 » Mais il écrit dès 2012 : « L’analyse sera foucaldienne ou ne sera plus ».5 Foucaldienne, cesserait-elle d’être freudienne alors ?

S’ébrouer encore :

– Les études multiples sur La geste mémorable du Président Schreber, initiées par celle de Freud, sont un fil rouge pour cet atelier. Elles permettent d’interroger comment s’opèrent les changements en particulier de Freud à Lacan, aux différentes étapes du
frayage de Lacan et ce qui advient de cette histoire clinique. Quels statuts ont ces savoirs ? Existe-t-il un statut de l’erreur ? Comment s’inscrit le savoir cumulé de la référence textuelle autour d’un tel objet ? Ses liens avec le savoir psychiatrique ? Faut-il perdre ce savoir ? Est-ce un savoir ?

Une fiction viennoise (champ ouvert par Marie-Caroline Heimonet) se poursuit. Le rapport de la psychanalyse naissante à la psychiatrie en plein essor met en lumière la révolution freudienne.

– Il se trouve qu’une importante littérature gay et lesbienne venue en premier lieu des États-Unis et issue d’un ample mouvement social, a remanié le champ des perversions. Les psychanalystes doivent pouvoir s’ébrouer après avoir reçu quelques pluies de critiques bien justifiées6. Le féminisme n’avait-il amené Lacan auparavant à écrire ses formules de la sexuation ? L’atelier sert aussi à accueillir ces mutations souvent à peine perceptibles. Deux temps sont particulièrement propres à ces surgissements : le temps qui a pris le nom de « clinique du quotidien » : l’atelier commence en général par une prise de parole de quiconque sur un fait qui l’a impliqué personnellement et qui lui semble pouvoir s’inscrire dans le cheminement de l’atelier ;

– et les invitations dans des conférences.

– Ce qui signifie aussi faire un pas de plus dans ce que Freud souhaitait : aborder un patient comme absolument nouveau. Eviter toute classification a priori : c’est une hystérique ? un psychotique ? c’est un jeune (il est peut-être très vieux), c’est une femme
( ?) etc.,? Comment entendre « la musique (qui) est entre les notes » et jamais ne fut entendue ?7

Étrange statut du savoir dans la cure, et pour le psychanalyste en général. « Ou je ne pense pas ou je ne suis pas », dit Lacan dans l’Acte analytique. « Ou je ne pense pas ou je ne suis pas » est mis à l’épreuve dans cet atelier, et c’est bien ainsi. Pour cela l’atelier s’appelle aussi forum, car la marque, l’identité, y est dispersée. Il n’y a pas d’inscription pour l’année. On est libre de venir en cours d’année également. Un forum ne peut qu’être ouvert.

L’atelier a un extérieur particulier qui est un autre atelier, Voix haute/ Voix Basse. Ce dernier pousse à sa limite le « s’en tenir au dit »…

Le forum invite aussi des conférenciers, des performers, des cinéastes, des écrivains, des étrangers en somme. Ainsi le souhaitait Freud pour les psychanalystes. Préférer un regard oblique. Pour cela, Nietzsche disait : « ne jamais observer pour observer ! Cela donne un défaut d’optique, un strabisme, quelque chose de forcé et d’excessif. »

Pour le bureau,
Annie Guillon-Lévy

 

Bibliographie:

Daniel Paul Schreber, Mémoires d‘un névropathe, Editions du Seuil, Coll Points, Paris, 1975.
Sigmund Freud. http://www.unebevue.org/l-unebevue-editeur/freud-zone/84-remarques-psychanalytiques-surun-
cas-de-paranoia. Edition bilingue.
Le Président Schreber. Un cas de paranoïa, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2011.
Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, suivi de Premiers écrits sur la
paranoïa, Ed. du Seuil, Paris, 1975.
Jacques Lacan, Séminaire III. Les psychoses, Paris, Seuil, et version calligraphiée,
Jacques Lacan, Ecrits, D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose, Ed. Du Seuil, Paris,
1966.
Jean Allouch, Marguerite ou l’Aimée de Lacan, Paris, EPEL, 1991.
Jean Allouch L’ingérence divine II Schreber théologien. Béatitude, volupté, jouissance. Paris, Ed. Epel, 2013.
Guy Le Gaufey, Fugace effet de sens, Epel, 2018.
Revue du littoral N° 40. Témoin Schreber. Epel-edition.com à télécharger.
Cahier de l’Unebévue, Saint Foucault un miracle ou deux ? Ouvrage collectif sous la direction de Mayette Viltard.
L’Unebévue-éditeur.
Cahier de l’Unebevue, Écrits inspirés et langue fondamentale, L’Unebévue-éditeur, 1993. Ouvrage collectif sous la
direction de Mayette Viltard.
Un dire atopique- Daniel Paul Schreber, Collectif elp, Epel. 2014.
Actifs Schreber Président , sous la direction de Petitjean, Smith et Thiellement, Fage Editions, 2006.
Illustration : Antonio Berni. (Rosario) Argentine. Manifestation 1934.
Participation aux frais.
Contact: Ecole-lacanienne.net et ELPsychanalyseNantes@free.fr

 

1 Michel Foucault, Histoire de la sexualité -4- Les aveux de la chair. Paris, nrf. Gallimard, 2018.
2 Le retour est « prétexte ». C’est pourquoi le mot « rebroussement » semble indiquer un retour sur l’objet,
peut-être propre à un mouvement inscrit dans la démarche analytique elle-même, son rythme propre ?
3 Guy Le Gaufey.
4 Jean Allouch, Freud et puis Lacan, Paris, Epel, 1993.
5 Journée Foucault, 24 novembre 2012. Internet.
6 Voir Epel, collection : Les grands classiques de l’érotologie moderne.
7 Parole attribuée à Nad selon Roger Laporte, « Écrire la musique » , Paris, A. Passage, 1986.

Image: Antonio Berni. (Rosario) Argentine. Manifestation. 1934.

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