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Cartographies inédites. Deligny et Lacan : ‘mi-lieu’ ∩ ‘mi-dire’.

Workshop


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2 December 2023 - Paris

Atelier de lecture animé par Verónica Diez pour Claroscuro

Samedi 2 décembre : « Milieu, Réel, Monde », par Laurent Gillette

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  • 2 December 2023

Argument


Cartographies inédites.
Deligny et Lacan : ‘mi-lieu’ ∩ ‘mi-dire’.

Atelier de lecture animé
par Verónica Diez pour Claroscuro

Samedi 2 décembre :
« Milieu, Réel, Monde ».

 

Le samedi 2 décembre 2023 à 15h Paris (8h am Costa Rica et Mexique, 11h am Argentine et Uruguay), nous allons accueillir Laurent Gillette (psychologue à l’hôpital de jour Yser à Rennes). Vous pouvez visiter son blog : autismuseum.net. Il est membre de Bookanalyse).

Lien zoom : https://udecr.zoom.us/j/89587977542?pwd=bXdNa3NxQmVqbTl5czFlTU9aMFpTdz09
ID de reunión: 895 8797 7542
Código de acceso: 366196

Contacts : cuadernosclaroscuro@gmail.com

 

Son argument

Je voudrais situer mon intervention à la croisée de trois pratiques.

Pour commencer, ma pratique auprès d’enfants et d’adolescents dans un hôpital de jour de psychiatrie où je travaille en tant que psychologue depuis plus de vingt ans maintenant (c’est à dire le long d’une période qui a vu les institutions devenir de moins en moins habitables). Je n’en dirai pas grand chose et probablement même rien mais c’est de là, de ce pôle tantôt mutique, tantôt fou, parfois les deux, et des fois tout autre chose, c’est de là que ça vient. Mon propos sera centré sur la pratique de Deligny, ce qui veut dire celle de Fernand Deligny, mais aussi celle de ses compagnons, tel que nous pouvons aujourd’hui y accéder à travers ce qui est publié à l’Arachnéen et grâce notamment aux travaux de Catherine Perret et de Marlon Miguel. Je propose de décentrer ce matériau Deligny à partir de la pratique biosémiotique peircienne d’Eduardo Kohn et Terrence Deacon, dont les apports me semblent à même d’interroger, de mettre en relief et d’actualiser l’anthropologie politique de Deligny.

 

***

 

Argument de l’atelier

 

On n’a pas certes attendu la psychanalyse pour penser la tension qui
lie la présence de l’objet à celle du lieu, celle du lieu à celle de
l’objet. Cette problématique n’est pas nouvelle, on peut la faire
remonter à la distinction platonicienne des deux sortes de lieux,
respectivement dénommés topos et khôra.

Jean Allouch, L’Autresexe, Paris, Epel, p. 185-186.

 

‘Deligny Lacan’ : ces deux noms font presque oxymore. Fernand Deligny s’est déclaré hors de la psychanalyse qu’il considérait normative et dogmatique. Jacques Lacan n’a jamais commenté l’expérience de Deligny. Pourtant, à leur lecture, les problèmes se révèlent affines autour du réel, de l’incidence du symbolique et de la place de l’imaginaire[1]. Les réponses bien différentes de chacun invitent à cartographier lignes de rencontre et inconciliables désaccords. Dans notre titre, on fait jouer le mi-dire, propre au vocabulaire lacanien, avec le mi-lieu, terme utilisé par Deligny, en prenant en compte une certaine extériorité du ‘dit’ et du ‘lieu’[2]. De ce milieu (entre topos et khôra ?), nous intéresse aussi quelque chose sur le silence, ce ‘silence-éthique’ de l’analyste qui, selon Jean Allouch, peut ouvrir la porte « à l’éclair de la lucidité, à l’illumination »[3].

Le ‘dire’ échappe au ‘dit’ et dans cette logique, Jacques Lacan[4], indique sa préférence pour ‘dire non’ à ce qui de la parole fait sens. Dire ‘non’ (même de façon involontaire) au langage, comme Janmari et les autres enfants qui entouraient Fernand Deligny, signale ce lieu du réel que les mots échouent à atteindre. Le dire de Deligny témoigne de l’existence de ce réel :

Un peu lassés de ces excès de compréhension dont il était flagrant que l’enfant n’en pouvait plus, d’être compris… nous nous sommes mis à penser que topos pouvait être le lieu du reste, c’est-à-dire de ce qui semble réfractaire à la compréhension (…) Nous nous sommes mis à transcrire, sur des feuilles transparentes, les trajets des uns et des autres, lignes d’erre. (…) Il m’arrive de lire, dans des textes qui se disent d’inspiration analytique, que le réel, c’est le pire-que-l’enfer, c’est le chaos et la violence, et le pire-que-l’angoisse. Il faut n’avoir jamais vécu avec des êtres qui sont dans le réel jusqu’aux sourcils pour colporter de telles légendes[5].

Installé dans les Cévennes, à la fin des années 60, Fernand Deligny a choisi de vivre à côté de certains enfants qui, ancrés dans le mutisme, avaient été déclarés incurables par l’institution psychiatrique. L’éducateur français ne prétendait ni les faire parler, ni les guérir, ni les aimer mais les accueillir et les aider à vivre avec « eux-mêmes » et avec les autres, tout en respectant ce mutisme, vers lequel il a essayé de s’approcher de différentes manières, comme par exemple avec la transcription cartographiée des déplacements des enfants. Les aires de séjour, dans les Cévennes, étaient composés par un réseau de petits endroits séparés et re-liés par des lignes de passage. Deligny, le poète, décrivait ce réseau comme étant arachnéen, où entre le temps en infinitif[6] et le topos en commun, se tissait un milieu vital et non social[7]. Deligny, le philosophe, pensait ce milieu humain aussi comme un milieu technique[8]. Machines d’imprimerie, outils de tapisserie et caméras sont quelques uns des instruments techniques dont Deligny, l’artiste, s’est servi dans ses expériences pour déjouer le monopole du langage (selon ses propres termes).

La radicalité de la position de Deligny concernant cet hors langage marque peut-être une des limites de sa « tentative » (façon de nommer ses recherches). Pourtant, son travail sur la langue, sur l’image à travers le cinéma, son intérêt pour la trace, ses pratiques de narration et d’invention poétique montrent que lui, n’a jamais cessé de s’intéresser au langage. Du côté de la psychanalyse, on dirait plutôt que cet ‘au-delà du langage’ n’est accessible qu’à travers le langage. Pourtant, les expériences topologiques[9[, la place du silence en séance, la dimension de l’acte n’évoquent-ils pas cette zone du mi-dire que trace la vie tout en échappant à la parole ? Aussi bien Lacan que Deligny ont entendu l’importance de soutenir ce lieu. Le silence, en séance, peut accueillir l’inouï[10] qui s’y présente. Le silence, dans les Cévennes, a habilité l’expérience de vies inédites.

 

Bibliographie

Les œuvres de Deligny sont réunies en Œuvres par Sandra Alvarez Toledo, Paris, L’arachnéen, 2007. Cartes et lignes d’erre : le réseau de Fernand Deligny, 1969-1979, L’arachnéen, Paris, 2013. Fernand Deligny, L’arachnéen et autres textes, L’arachnéen, 2008.

Perret Catherine: Le tacite, l’humain. Anthropologie politique de Fernand Deligny, Paris, Seuil, 2021.
Pouteyo M., Moreau Pierre, coll., Fernand Deligny et la philosophie : un étrange objet, Paris, ENS, 2021.
Querrien Anne, « Imager le commun », Multitudes 24, Paris, 2006.
Tardits Annie, « Position(s) de Fernand Deligny », Essaim N°20, Paris, 2008.
Marlon Miguel, « Cartes, objets, installations : le problème de l’art dans la pensée et la pratique de Fernand Deligny », Revue La part de l’œil N° 33-34, Dossier Exposition, espace, cadre, Bruxelles, 2020.
Marlon Miguel, « Un monde d’archives, Fernand Deligny et les pratiques du langage expositif », Revue d’art contemporain Marges 25, Paris, Portail Revues.org, 2017.

Sur le site Cairn existent plusieurs articles sur Deligny. Radio France Culture a dans ses archives une émission consacrée à Deligny, de l’époque des Cévennes. Les trois films sont : Le moindre geste (1971), Ce gamin-là (1975), À propos d’un film à faire (1989). Il existe aussi un film sur Deligny : Monsieur Deligny, vagabond efficace, de Richard Copans (2019).

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Allouch Jean, L’Autresexe, Paris, Epel, 2015.
Nouvelles remarques sur le passage à l’acte, Paris, Epel, 2019.
Transmaître. Jacques Lacan et son élève hérisson, Paris, Epel, 2020.
Lettre pour lettre. Transcrire, traduire, translittérer, Paris, Epel, 2021.
Barthes Roland, Le Neutre, Paris, Seuil, 2002.
Bercque Agustin, « La khôra chez Platon », en Thierry Paquot et Chris Younes (sous la dir. de), Espace et lieu dans la pensée occidentale. De Platon à Nietzche, Paris, La Découverte, 2012.
Canguilhem Georges, Le normal et le pathologique (1943), Paris, PUF, Quadrige, 2013.
La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965.
Combes Muriel, La vie inséparée. Vie et sujet au temps de la biopolitique, Paris, Éditions Dittmar, 2015.
Dardot Pierre, Laval Christian, Commun. Essai sur la révolution au XXI° siècle, Paris, La Découverte, 2014.
Foucault Michel, Il faut défendre la société (1976), Paris, EHESS Gallimard Seuil, 1997.
Fonteneau Françoise, L’éthique du silence, Wittgenstein et Lacan, Paris, Seuil, 1999.
Pradeau Jean-François, « Être quelque part, occuper une place. Topos et Khôra dans le Timée », in Les études philosophiques, n°3, Paris, PUF, 1995.
Lacan Jacques, Autres écrits, « L’étourdit », Paris, Seuil, 1966.
— « Conférence SIR (1953) », Pas-Tout Lacan 1950-1959, site de l’ELP.
— « Conférence La Troisième (1974) », Pas-tout Lacan 1970-1974, site de l’ELP.
— Séminaires J.L., sténotypes sur le site de l’ELP : R.S.I, 1974-1975.
Le Gaufey Guy, L’incomplétude du symbolique. De René Descartes à Jacques Lacan, Paris, Epel, 1996.
Mauss Marcel, Sociologie et anthropologie, « Les techniques du corps », Paris, PUF, 1985.
Simondon Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques (1958), Paris, Aubier, 2012.
Sueur Jérôme, Histoire naturelle du silence, Arles, Actes Sud, 2023.
Von Uexküll, Jakob, Milieu animal et milieu humain, Paris, Payot Rivages, 2010.
Wallon Henri, De l’acte à la pensée. Essai de psychologie comparée, Paris, Flammarion, 1942.
Wittgenstein Ludwig, Conférence sur l’éthique, Paris, Gallimard, 2008.

 

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Fréquence

Séances ouvertes au public et gratuites par zoom en français et espagnol
à 15h (Paris) :

– Samedi 2 décembre 2023 : Laurent Gillette

– Samedi 2 mars 2024 : Annie Tardits

– Samedi 4 mai 2024 : Marlon Miguel

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Directrice de Claroscuro : Ginette Barrantes. Comité éditorial : Annick Allaigre, M. Graciela Brescia, Daniel Fernández, Miguel Gasteasoro, Rocío Murillo Valverde. Éditeur responsable : Rubën Quepfert. Éditrice invitée : Verónica Diez.

 

Notes en bas de page :

[1] Les références de Deligny se réduisent aux premiers séminaires de Jacques Lacan, où le symbolique avait une place prédominante. Voir l’article d’Annie Tardits, « Position(s) de Fernand Deligny », À propos du livre Fernand Deligny, Œuvres, Essaim, 2008/1, n°20, p. 213-220. Voir les deux conférences « SIR » (1953) et « La troisième » (1974), Pas-tout Lacan, site de l’ELP, où l’on peut lire la différence entre deux moments de la théorie des trois registres.

[2] Voir Jacques Lacan, « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 1966. Lacan formule expressément ces deux dimensions : celle du discours (le dit) et celle du lieu (le dire).

[3] Jean Allouch, Transmaître. Jacques Lacan et son élève hérisson, Paris, Epel, 2004, p. 110-111.

[4] Jacques Lacan, « L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 453.

[5] Fernand Deligny, « L’enfant comblé », L’arachnéen et autres textes, L’arachnéen, 2008, p. 140-143.

[6] L’infinitif chez Deligny est contemporain du neutre chez Roland Barthes, Le Neutre, Paris, Seuil, 2002.

[7] Voir Henri Wallon, De l’acte à la pensée. Essai de psychologie comparée, Paris, Flammarion, 1942. Voir aussi Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique (1943), Paris, PUF, Quadrige, 2013.

[8] Voir Marcel Mauss, « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1985. Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques (1958), Paris, Aubier, 2012. Voir aussi ces références indispensables chez Catherine Perret, Le tacite, l’humain, Anthropologie politique de Fernand Deligny, Paris, Seuil, 2021.

[9] À souligner que ces expériences topologiques, lorsqu’elles passent à plat, se transforment en lignes et en points qui transcrivent, selon Lacan, les trajets des tours du dire ! Voir Jacques Lacan, « L’étourdit », op. cit.

[10] Voir Sandra Alvarez de Toledo, « Avant-propos », L’arachnéen et autres textes. Paris, L’arachnéen-éditions, 2008.

 

Crédits de l’image : Carte d’origine de la pratique de tracer. Recherches, Cahiers de l’immuable, Au défaut du langage, Paris, 1976.