« En thérapie », dit-on ?
Taller 2021-2022
Fecha tope
21 mayo 2022 - Paris
Dès que le moindre détail, boiterie ou clocherie est symptomatisé, il y a problème. Symptôme essentialise et objectivise formes, traits, traces, mouvements, paroles, sensations. Avec le discours psychopathologique qu’il organise, symptôme est la cheville ouvrière d’expériences discriminatoires et génératrices d’assujettissement et de culpabilité : il suffit de prêter attention aux politiques des normes qui constituent son esthétique et d’où « symptôme » tire son efficacité discursive. À chaque fois que vient sur la langue le mot symptôme, le Rubicon est franchi sans même s’en apercevoir. Mais comment se passer du symptôme – aujourd’hui sur toutes les lèvres –, pour accuser réception des manifestations du corps, douleurs, plaintes, paroles, images ou silences au lieu de leur adresse transférentielle ?
Avec Freud : s’il leur arrive d’alléger avec poésie la lourdeur partagée des corps, chaque phrase dite, chaque mélodie, chaque rai de lumière comporte aussi trouble, opacités et silences. Voilà-t-il pas que, saisi par l’émoi dans lequel le plongeait la statue du Moïse de Michel Ange, Freud a cru bon d’en appeler à un connaisseur. Il a choisi le sénateur italien Giovanni Morelli pour attirer l’attention sur quelques détails de l’œuvre ignorés par la critique. Tout en s’en défendant, Freud incarne alors ouvertement la parole du critique d’art. Ce n’est pas resté sans conséquences : pour plus d’un siècle depuis Freud, d’Edgar Wind à Jacques Rancière en passant par Carlo Ginzburg, Jaynie Anderson, Nicolas Bourriaud, ou encore Daniel Arasse et pas mal d’autres, un fil de discussions s’est ouvert autour des détails méconnus ou intrigants d’œuvres artistiques. Le suivre met rétrospectivement en évidence à quel point l’invention de la psychanalyse s’est faite entre des moments hétérogènes d’époques différentes. Le symptôme est avec la psychopathologie une survivance de l’époque la plus ancienne dans la vie de la plus récente.
Le divan que les dites hystériques ont amené Freud à pratiquer était encore compatible avec la tension dans laquelle les corps se trouvaient pris depuis la Renaissance d’un Michel-Ange : entre mimétisme aristotélicien du côté des pratiques artistiques, dessin anatomique et dissection du côté de la médecine. À l’endroit précis de cette tension, Freud avait bien séparé symptôme hystérique et symptôme organique : à l’homogénéité géométrique des surfaces et des volumes, qui était aussi à cette époque l’une des butées de la théorisation de la cellule nerveuse, il a substitué l’hétérogénéité transdiscursive de l’association libre. Idem pour l’oubli, les actes manqués, le rêve, etc. L’acte de Freud appartient donc bien au temps qu’il a contribué à créer… mais lui-même ne s’en est aperçu que peu à peu. Pour cette raison les différentes lectures de la poétique aristotélicienne et les références à des œuvres artistiques issues d’espaces de création affines gardent dans ses textes une place de référence. Pour le même motif, il ne se séparera pas de la symptomatologie, indissociable de cette matrice à la fois artistique et médicale des temps modernes.
Avec Lacan : entre le James Joyce que Lacan rencontre autour des années 20 dans les librairies de Sylvia Beach ou d’Adrienne Monnier, et celui dont il est question au fil du séminaire Le sinthome un demi-siècle plus tard, je propose de lire (de lire en plus, pas de réduire à…) la formidable créativité qu’a libérée, dès avant le retour aux textes freudiens, l’effort très tôt déployé par Lacan pour commencer à sortir d’une appréhension symptomatique de la subjectivité : ainsi des « écrits inspirés ». Ainsi du dit « stade du miroir » aussi, où la société d’après-guerre n’a voulu voir que les vertus développementales de la spécularité, et non une mise en question de l’objectivation aliéniste. Résultat : la culpabilité qui fait la paire avec l’objectivation a été entérinée comme levier essentiel de gouvernement, en particulier des institutions soignantes et/ou pédagogiques. Par contraste se trouve délimité l’espace que des actes artistiques peuvent venir occuper dans les élaborations actuelles de la psychanalyse.
Ensuite : L’Atelier proposé ici est celui des artistes et des artisans. Quant aux ateliers – que dis-je ? aux usines – qui ont permis la reproductibilité technique des œuvres, nous consulterons Walter Benjamin. Freud suggérait à ses collaborateurs de se faire chacun un marteau à leur main : mais pour enfoncer quel clou ? Marteau ou pas, chacune et chacun viendra avec ses questions, le matériau et les outils de son expérience.
François Dachet
L’atelier se tiendra à Paris dans les locaux de l’e.l.p., 212 avenue du Maine, 75014, le samedi de 14h30 à 17h, les 13 nov. et 11 déc. 2021 et les 08 janv., 12 fév., 12 mars, 2 avril, 21 mai 2022. Demander les codes d’entrée par mail à fr.dachet@laposte.net. Participation aux frais 10€, étudiants 5€.
Points de vue :
– Anderson Jaynie, Collecting connoisseurship and the art market in Risorgimento Italy, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti,1999.
– Anderson Jaynie, Derrière le pseudonyme, Introduction à Giovanni Morelli, De la peinture italienne, Les fondements de la théorie de l’attribution en peinture, Lagune, 1994. Éd. Or. 1870.
– Arasse Daniel, Le détail, pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, Paris, 1992, 2021.
– Aristote, La poétique, Traduction Roseline Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris Seuil, 1980.
– Benjamin Walter, De la reproductibilité technique des œuvres, Œuvres, III, version de 1939, Gallimard, Folio essais, p. 227-269.
– Bourriaud Nicolas, Stream 02, Rebuts-Notes sur le travail artistique comme déchet social, 2012, Revue Internet.
– Dachet François, —Esthétiques du neurone, in Superflux n° 7, l’unebévue-éditeur, 2014.
– Darrieussecq Marie, Être ici est une splendeur, Vie de Paula Modersohn-Becker, P.O.L., folio, 2016.
–Jean-Louis Déotte Ed., Appareils et formes de la sensibilité, L’Harmattan, 2005.
– Dresdner Albert, La genèse de la critique d’art, E.N.S. des beaux-arts, Paris, 2005.
– Foucault Michel, Maladie mentale et psychologie, Paris, PUF, 1954.
– Freud Sigmund, Le délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen, Gallimard, Paris, 1986.
– Freud Sigmund, Inhibition, symptôme, angoisse, P.U.F., Éd. 1975.
– Freud Sigmund, Le Moïse de Michel Ange, Gallimard Folio/essais, 2006.
– Ginzburg Carlo, Mythes, emblèmes, traces, Verdier poche, Éd. 2012, Éd. or. 1989.
– Gombrich E.H., Histoire de l’art, Phaidon, 2001.
– Graf Max, L’atelier intérieur du musicien, Buchet/Chastel – e.p.e.l., 1999.
– Jacques Lacan, C’est à la lecture de Freud…, Cahiers Cistre, 1977, 1984, p.9-17.
– Jacques Lacan,1975-10-04, Conférence à Genève sur le symptôme, Tout pas tout Lacan, p.1672-1695. https://ecole-lacanienne.net/bibliolacan/pas-tout-lacan/
– Jacques Lacan, séminaire Le sinthome, 1975-76. https://ecole-lacanienne.net/bibliolacan/stenotypies-version-j-l-et-non-j-l/
– Caroline Mangin-Lazarus, La Fabrica de Vésale, le vivant de l’anatomie dans l’art, Superflux 11, l’unebévue éditeur, 2019, p.58-77.
– Rancière Jacques, L’inconscient esthétique, Galilée, 2001.
– Superflux, 7, Applications de la psychanalyse, l’unebévue-éditeur, 2014, p.125-132.
– Venturi Lionello, Histoire de la critique d’art, Flammarion, Paris, 1969. Éd. or. Turin 1964.
– Wind Edgar, Art and anarchy, Faber & Faber, London, 1963.
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