Je l’ai tué, dit-elle, c’est mon père
Diego Nin, Raquel Capurro
EPEL 2005 / ISBN n°2-908855-80- / 352 p. / 39 €.
Montevideo (Uruguay), été 1935. Un fait divers secoue la ville : Iris Cabezudo, une jeune et brillante étudiante, vient de tuer son père d’un coup de revolver. Déclarations devant le juge, articles de presse, jugements, expertises médicales, version écrite par la mère, archives, témoignages, récits d’Iris elle-même dont la qualité littéraire a aussitôt été reconnue composent ici un ensemble rare par son étendue et sa diversité.
Presse et justice accueillent d’emblée la version maternelle des événements que la jeune fille reproduit comme en écho : le père tyran menaçant et violent, la mère victime de cette violence dont les enfants étaient témoins. Expertises psychiatriques à l’appui, le juge conclut à un non-lieu : Iris aurait tué sous la menace de la folie meurtrière de son père, pour y mettre fin. Libérée après une année de prison, elle retourne dans sa famille et achève ses études d’institutrice.
Elle découvre alors, surprise, que son acte n’a pas eu les effets escomptés. Loin d’avoir mis un terme à l’enfer familial, il l’a renforcé. La mère continue à multiplier des reproches sans fin à l’encontre du mort. Scrutant sa conduite Iris conclut que c’était elle, cette mère si idéale et idéaliste, la véritable cause des malheurs familiaux.
Qu’est donc la persécution pour pouvoir si radicalement basculer d’une adhésion sans partage à un refus forcené ?
Décembre 1956 : Iris demande qu’on examine sa mère. Elle la tient pour folle. Réaction immédiate du psychiatre : diagnostiquée et hospitalisée comme paranoïaque, Iris se trouve plus démunie face à l’ordre médical qu’après son crime. Elle s’en explique par écrit.
Elle sera alors autorisée à sortir de l’hôpital, mais à deux conditions : quitter la maison paternelle et accepter sa mise à la retraite. La voici contrainte à vivre, vagabonde dans la ville, sans le moindre appui.
Bientôt s’étend son réseau de persécuteurs ; sans cesser d’être familiale, sa question devient sociale. En désaccord avec les directrices d’école et les autorités de l’Éducation, Iris donne son point de vue critique sur la fonction enseignante, le système d’enseignement, les dangers liés à l’intrusion des catholiques dans la laïcité de l’école uruguayenne.
Quel rapport établir entre le crime (qui lui fait dire à la police : « Je l’ai tué, c’est mon père ») et ce délire en deux scènes par lequel elle essaie vainement de s’expliquer ?
Iris Cabezudo fut, en Uruguay, ce que furent les sœurs Papin en France, l’instituteur Wagner en Allemagne, James Tilly Matthews en Angleterre : non seulement un de ces rares cas fondateurs de la psychiatrie mais une de ces affaires qui ne cessent d’interroger le social comme tel.
Envoi de Christine Angot
Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Françoise Ben Kemoun
12 Illustrations.