Fabrique d´un cas: Une femme, Abe S/zada : geisha, catin, étrangleuse, star
Atelier
Dernière date
6 Mars 2021 - Atelier
Dates: Samedi 20 février, 27 février et 6 mars 2021
Horaires: 12 à 13h 30, heure Arg. /9h à 10h 30, heure Mex.
Lieu: Salon virtuel ZOOM
Inscription et frais voir le site : www.fcpa.com.ar
Argument
Il se peut que le poison du théâtre jeté dans le corps social le désagrège
Antonin Artaud, Le Théâtre et son Double
Le mystère appartient à un ordre étranger à l´habituel
Ricardo Piglia, La forma inicial
En 1936, quelques mois après une tentative d´un coup d´Etat contre “la corruption de la classe politique” nippone, Abe Sada commit le crime le plus retentissant du siècle au Japon: elle étrangla son amant Kichizo Ishida, puis elle lui coupa les organes génitaux avec un couteau de cuisine et grava son nom sur l´un de ses bras. Ensuite, enveloppant les parties génitales de son amant entre les pages d´une revue, elle initia un parcours qui s´achèverait quelques jours plus tard lors de son arrestation dans un hôtel où elle avait pensé se suicider.
Ces organes -le pénis et le scrotum- furent conservés au Musée de Pathologie Médicale de l’Université de Tokyo jusqu´ à 1970, année où ils disparurent et où toute trace de Abe Sada se volatilisa. Interrogée sur les motifs qui l´avaient poussée à faire ce qu´elle avait fait, elle répondit: «Parce que je l´aimais…». Ishida, tout au long des marathons sexuels qu´ils maintenaient, répétait inlassablement : « Mon plaisir consiste à te donner de la jouissance et à obéir tous tes désirs » ; «Sada, tu sais que je t´appartiens. Fais avec mon corps ce que tu veux ».
William Johnston, dans son livre “ Geisha, Harlot, Strangler, Star ” (Columbia University Press, 2008), raconte la vie de Abe Sada en tant que geisha, catin, étrangleuse et étoile (étoile médiatique). Son histoire s´inséra dans l´imaginaire populaire du Japon, un cas d´ hybris qui déploie un “érotisme féminin”et qui implique un corpse. Dans son livre se trouvent des témoignages de Abe Sada, ainsi comme le composant social et culturel que reçut ce « fait social total » (Marcel Mauss, cité par J. Allouch). A l’égard de cet acte, Abe ne voulait surtout pas être mal interprétée et dans ses déclarations elle dévoile de manière explicite sa vie érotique avec ses amants. Elle se dirigeait vers les tribunaux et le public pour leur indiquer que le meurtre d´Ishida était dû à son profond amour envers lui et « non pas par déviance sexuelle ». Couper la queue d´ Ishida n´était pas un hommage à ses mesures: «Ce n´est pas la taille qui fait un homme dans le lit. La technique et son désir de me satisfaire étaient ce qui me plaisait le plus d´ Ishida ».
Les autorités paraissent se contredire car elles la décrivent à la fois comme étant normale et anormale. Le rapport médical du Dr Matsumura Tsuneo, professeur à l´Université de Tokyo, signale que « L´état mental de l´accusée …aide à faciliter le délit…ses anormalités de caractère ne sont pas extrêmes. Par conséquent il est impossible de reconnaître ceci comme une folie passagère ou une condition de faiblesse mentale (shinshin kôjaku)…ce meurtre n´est pas le résultat d´un « deluded sexual desire », ni « le résultat d´une pulsion pathologique. Il n´est pas possible de diagnostiquer une anomalie mentale au moment où l´accusée commet le meurtre… par rapport à la mutilation du cadavre (corpse), bien que ceci suggère une tendance envers une sexualité délirante, il est impossible de diagnostiquer une anormalité spécifique ». (W. Johnston, op.cit., pp.130-139).
En vertu de l ´article 59 de la Constitution Meiji qui réglait à ce moment-là au Japon la discussion publique autour de n´importe quel thème qui aurait pu « endommager la stabilité et l´ordre de l´Etat ou la morale publique », les simples démonstrations publiques d´affection étaient taboues et les films ne montraient pas de couples s´embrassant jusqu´aux années 50 : n´importe quelle discussion sur le sexe dans la presse était soumise à la censure. Le juriste Hosoya, en lisant le dossier chez lui à la maison, – comme c´était la coutume entre les juges – quand ses enfants lui posaient des questions remettait la réponse à plus tard, « jusqu’à ce qu’ils soient adultes, pour mieux pouvoir comprendre». Hosoya reconnaissait qu´il fréquentait les «cafés», lieux où Abe exerçait la prostitution. Face aux thèmes concernant la sexualité, Hosoya régla la “censure” ordonnant un usage prudent du langage et quand il fut nécessaire de discuter l´élimination de la « queue » d´ Ishida », mot qu´il ne pouvait permettre dans le tribunal, il exigea que les participants mentionnent plutôt « l´extrémité d´ Ishida. » (¡¡¿¿…??!!)
Lacan, dans son Séminaire oral, 1975/1976, « Le sinthome », séance du 16/03/1976, mentionne un film, qu´il venait de voir lors d´une avant-première (15/03/1976 [« L´empire des Sens » dirigé par Nagisa Oshima en 1976] ) avec J. Aubert et d´autres :
« …j’ai été, à proprement parler, soufflé. J’ai été soufflé parce que, parce que c’est, c’est de l’érotisme, je ne m’attendais pas à ça en allant voir un film japonais, c’est de l’érotisme féminin. Là, j’ai commencé à, à comprendre le pouvoir des japonaises…L’érotisme féminin semble y être porté, je ne m’en vais pas simplement sur un film faire un, une ligne de partage, semble porté à son extrême, et cet extrême est le phantasme ni plus, ni moins, de tuer l’homme. Mais, même ça ne suffit pas. Il faut qu’après l’avoir tué, on va plus loin, après, pourquoi après, là est le doute, après ce phantasme, que la japonaise en question qui est une maîtresse femme, c’est le cas de le dire, à son partenaire, lui coupe la queue, c’est comme ça que ça s’appelle. On se demande pourquoi elle ne la lui coupe pas avant. On sait bien que c’est un phantasme… Il y a là un point que j’ai appelé, tout à l’heure, de doute, et c’est là qu’on voit bien que la castration, ce n’est pas le phantasme… Elle n’est pas facile à situer, puisqu’elle peut être phantasmatisée. C’est bien en quoi je reviens à mon phi, mon grand Phi là, qui peut aussi bien être la première lettre du mot phantasme… à savoir ce que j’ai écrit en dessous, là, S de A barré…»
Pour continuer ensuite:
« …mais S (Ⱥ) qu’est-ce que ça veut dire pour la copulation, si cet instrument est bien, comme c’est patent, à mettre au rancard, c’est pas du même ordre que ce dont il s’agit dans mon grand S parenthèses grand A barré S (A), c’est parce qu’il n’y a pas d’Autre… Mais ce que veut dire ce grand S de grand A comme barré, et je m’excuse de n’avoir pas eu autre chose que la barre dont me servir ; il y a une barre que, que n’importe quelle femme sait sauter, c’est la barre entre le signifiant et le signifié, comme je l’espère, vous l’a prouvé le film, pour (à ?) quoi j’ai fait allusion tout à l’heure. Mais il y a une autre barre qui consiste à barrer, à savoir elle est comme cette barre-ci… Je regrette de ne l’avoir pas fait de la même façon, d’ailleurs, c’est comme ça que ça aurait été le plus exemplaire. Elle dit que il n’y a pas d’Autre, d’Autre qui, qui répondrait comme partenaire, la nécessité de l’espèce humaine étant qu’il y ait un Autre de l’Autre. »
Abe Sada commit le crime en 1936. Le jour suivant, l´assassinat fut découvert et avec une femme sexuellement et criminellement dangereuse en liberté, la nation entière entra en panique. Alors que les journaux imprimaient des éditions supplémentaires elle échappa à la police pendant des jours entiers, mais fut finalement attrapée dans une auberge à Shinagawa, où elle avait prévu de se suicider. Dans une photo largement répandue et prise peu après son arrestation, on la voit avec son kimono légèrement fripé. Elle sourit d´une manière étrange et les policiers sourient aussi: « tout » le monde « semble très satisfait.» (¡¡¡¿…?!!!)
Cet atelier recueille les controverses suscitées par l´acte effectué par Abe Sada, un “érotisme fémenin” qui par amour commit ce crime. «Il y a des femmes éblouies par un homme qui voudraient faire ce que j´ai fait… il y a des femmes qui ne peuvent pas s´empêcher d´aimer un homme… » (Abe Sada, déclarations lors de l´interrogatoire policier).
Bibliographie:
Jean Allouch, Homenaje de Jacques Lacan a la mujer castradora, Litoral N° 28, Edelp, Córdoba, 1999 (Il existe plusieurs versions sur les réseaux sociaux) ; Nuevas observaciones sobre el pasaje al acto, ediciones literales, Córdoba, Argentina, 2019
Felipe Cazals, film “Las Poquianchis” (1976) (Il existe une versión du film sur internet)
Carlo Ginzburg, El queso y los gusanos, Muchnik Editores. España, 1991 (Il y a plusieurs versions qui circulent sur internet)
Marisa Grinstein, Mujeres asesinas 3, ensayo, Penguin Random House Grupo Editorial Argentina 2012 (Il existe une série de télévision pouvant se trouver sur Youtube)
Jorge Ibargüengoitia, Las muertas, éditeurs Joaquín Mortiz, México, 1977 (Il existe plusieurs versions sur internet)
William Johnston, Geisha, Harlot, Strangler, Star, Etoile, Columbia University Press, 2008
Christine L. Marran, Poison Woman: Figuring Female Transgression in Modern Japanese Culture, University of Minnesota Press, 2007
Jacques Lacan, séminaire oral 1975/1976, « Le Sinthome », éditions Paidós, séance du 16/03/1976, Buenos Aires, 2006
Oscar Zentner, Erotismo riguroso, https://www.acheronta.org/acheronta22/zentner.htm
Nagisa Oshima, film “L´empire des Sens” (1976) (Il existe une version sur Youtube et CDV)
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