L’amour et «l’occasion historique» de «l’homosexualité»
Conversation
Dernière date
3 Juin 2019 - Nantes
Conversation avec David Halperin
« Mais que les individus commencent à s’aimer, voilà le problème. »
Michel Foucault
Dans deux articles récents, David Halperin, entre autres choses éminent auteur des études « queer », porte tout son intérêt sur l’amour qui jusqu’à présent a été largement négligé dans ces mêmes études. Le mot « queer » n’est pas traduisible en français. Il désigne au départ ce qui est malade, bizarre, déviant et forcément marginal, puis ce qui est homosexuel, enfin ce qui est réfractaire à une identité spécifique—sexuelle ou autre.
Dans son premier et magistral article, « À quoi bon le sexe ? », il expose que, par pure logique et hors toute psychologie, Aristote démontre que la finalité du désir (erôs) n’est pas le sexe. À l’inverse de la démarche théorique d’Aristote, David Halperin poursuit son frayage par la plus pragmatique des descriptions de l’amour gay, avec « ses lieux uniques au monde » de liberté sexuelle. Il retrouve au bout de sa course le tranchant des conclusions illogiques d’Aristote : l’amour serait la finalité du sexe, y compris, paradoxalement, dans ces lieux apparemment destinés à une pure activité sexuelle.
Dans le deuxième article, « L’amour queer », David Halperin considérant des auteurs littéraires d’avant la révolution gay dite de Stonewall, évoque le travail politique et éthique que l’amour queer a été autrefois capable de faire et pourrait effectuer à nouveau, si seulement il pouvait être sauvé des slogans normalisateurs du mariage pour tous. L’amour queer pourrait alors redevenir, pour reprendre le mot de Michel Foucault, une « contre-conduite ».
David Halperin interroge la perte de force queer opérée par la banalisation actuelle du couple gay. « L’occasion historique » de « l’homosexualité » évoquée par Foucault devrait-elle donc se perdre [1] ? Se perdre, l’espoir d’inventer des formes inédites de lien social, et celles de la queerness de l’amour homosexuel révélateur en somme de la queerness de l’amour lui-même ? Ainsi conclut-il : « En faisant ressortir la queerness de l’amour, les textes que j’ai choisis invoquent et réactivent une plus vieille tradition de la théorie et de la représentation érotique, qui remonte jusqu’à l’antiquité classique – une tradition établie bien avant que la modernité eût entrepris de faire de l’amour l’un des fondements d’une société bien ordonnée, une tradition qui n’avait aucun intérêt à se porter garant pour l’amour en tant que pratique ou institution normale. »
Au-delà des perspectives de penser autrement, ce que la psychanalyse a eu tant de mal à distinguer, les textes de David Halperin dessinent une poétique du lien social où « le décalage » semble la ressource contre la tautologie et la fermeture de l’interprétation. Mais il ne s’agit pas de rendre les armes et de dire, comme quelqu’un l’aurait dit un jour malencontreusement à Artaud : « dites n’importe quoi, cela fait toujours plaisir. » Non. David Halperin invite à une conversation qui a des mots et qui a du corps.
David Halperin est professeur de littérature anglaise à l’Université du Michigan. Helléniste, il est spécialiste des sexualités de l’antiquité grecque. Il est également spécialiste de Michel Foucault. Il est écrivain et essayiste.
Il a publié un très grand nombre d’ouvrages et d’articles dont un certain nombre sont traduits en français.
Cent ans d’homosexualité. Paris, Epel, 2000.
Saint Foucault. Paris, Epel, 2000.
Oublier Foucault : mode d’emploi. Paris, Epel, 2004.
Que veulent les gays ? Paris, Amsterdam, 2011.
La vie descriptible de Michel Foucault. Paris, Epel, 2011.
L’art d’être gai. Paris, Epel, 2015.
Amour et ironie. Six remarques sur l’eros platonicien. Cahiers de l’Unebévue. 2005.
Pour la conversation avec Halperin, il est possible de se procurer ses deux derniers articles non encore publiés en français, à cette adresse : ELPsychanalyseNantes@free.fr
[1] Jean Le Bitoux et al., « De l’amitié comme mode de vie. Un entretien avec un lecteur quinquagénaire », Gai Pied, 25, avril 1981, p. 38-39, repris dans Michel Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, Paris, Quarto Gallimard, 2001, p. 982.
Illustration : Sandro Boticelli, Vénus et Mars, National Gallery.
Toutes les dates
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3 Juin 2019
Argument
Lundi 3 Juin 2019 à 19 h 30
Salle Jules Vallès 24 quai de la Fosse, Nantes
Contacts : ELPsychanalyseNantes@free.fr
Participation aux frais, 10 euros, et entrée solidaire.