De l’innocence. Lolita, la « pauvre enfant » de Vladimir Nabokov
Conference
Latest date
14 January 2023 - Paris
Conférence de l’Unebévue par Agnès Edel-Roy
All dates
-
14 January 2023
Argument
Place publique 2023
DE L’INNOCENCE
Lolita, la « pauvre enfant » de Vladimir Nabokov
CONFÉRENCE par
Agnès Edel-Roy
présentation Mayette Viltard
SAMEDI 14 JANVIER 2023
Le matin de 9h à 12h
Projection d’un film et débat
L’après-midi, de 14h à 16h30
Conférence
à L’Agora
64 rue du père Corentin 75014 Paris
Metro Ligne 4 Porte d’Orléans Bus 38 et 92 Tram T3a
Inscriptions sur place à 9h.
Participation aux frais:
la journée 20€ – tarif réduit 10€
[ Cliquez ici pour télécharger le flyer ]
De l’innocence.
Lolita, la « pauvre enfant » de Vladimir Nabokov (Apostrophes, 1975)
Relire Lolita de Vladimir Nabokov après la vague MeToo (2017) provoque le vertige. En effet, dans ce roman, écrit entre 1948 et la fin de 1953, Nabokov avait déjà disséqué tous les mécanismes de la domination dans « la culture de l’inceste » (dir. Iris Brey et Juliet Drouar), dont le plus difficile à écarter : l’identification, organisée par la société binaire hétéro-patriarcale (Paul B. Preciado dans Dysphoria mundi), au point de vue du prédateur pédocriminel, incarné ici par Humbert Humbert. La force, sidérante, de cette organisation est sa puissance de récupération du dissensus (Jacques Rancière). Depuis 1955 (date de la publication de Lolita), et jusqu’à MeToo, c’est moins le roman de Nabokov qui a été lu que son interprétation en mythe Lolita, dont le jalon fondateur est le film de Stanley Kubrick en 1962, c’est-à-dire le mythe de la fillette érotisée par le regard masculin, déclarée sexuellement précoce et tentatrice démoniaque ; interprétation qui a systématiquement invisibilisé tous les signes – présents pourtant dans le roman de Nabokov – de la subjectivité et de la souffrance de la pré-adolescente.
Cinq ans après MeToo, et la rupture épistémique induite par la libération de la parole des victimes d’abus sexuels, l’autre histoire de Lolita est dorénavant possible à raconter, celle de « [l]a malheureuse petite fille » de Vladimir Nabokov (décla- ration de 1967). Elle nous attend depuis 1955 (date de la publication du roman). Il s’agit d’entendre enfin « [l]es sanglots » de Lolita qui « pleure toutes les nuits » (Véra Nabokov, Les Nouvelles littéraires, 1959) ou d’écouter l’écrivain lui-même s’exprimant en français dès 1961, dans L’Express, sur la « morale très morale » de son roman : « ne pas faire de mal aux enfants », et de relire le roman depuis la modalité de l’innocence de Lolita cherchant à échapper à la perversité de Humbert Humbert.
L’innocence des enfants, de certains êtres humains, des animaux et de la nature est omniprésente dans l’œuvre artistique de Vladimir Nabokov. Cependant, qu’est-ce que l’innocence ? Est-ce une modalité infra-historique de l’existence, puisqu’elle serait condamnée à cesser dès sa rencontre avec l’Histoire, qui, pour les abusé.e.s de ce monde, consiste à être soumis.e.s, au « pouvoir nu » de la domination, « qui réduit […] l’autre au statut d’objet indéfiniment disponible, jetable, le fait de se sentir une chose, un déchet, un rien », « un pouvoir qui tient tout entier dans la jouissance au sens que ce terme prend pour définir la propriété d’une chose » (Frédéric Gros, La honte est un sentiment révolutionnaire, Paris, Albin Michel, 2021, p. 112). Ou est-ce une forme de dysphorie (Paul B. Preciado dans Dysphoria mundi), qui fait porter sur le monde organisé par la société binaire hétéro-patriarcale une interrogation qui perdure par-delà l’inéluctable rencontre avec l’Histoire ? À considérer l’art de Nabokov et sa défense de l’innocence, j’essaierai de dire pourquoi je penche pour la seconde hypothèse.
Outre ses titres universitaires et ses publications, Agnès Edel-Roy est présidente de la Société Française Nabokov depuis 2014.
Quelques références:
Wladimir Nabokov, Lolita, [1955]. Gallimard.
Iris Brey et Juliet Drouar dir., La culture de l’inceste, Seuil, 2022.
Jacques Rancière, Dissensus. On Politics and Aesthetics, Continuum, 2010.
Frédéric Gros, La honte est un sentiment révolutionnaire, Albin Michel, 2021.
Paul B. Preciado, Dysphoria mundi, Grasset, 2022.
Frank Wedekind, Mine Haha, De l’éducation corporelle des jeunes filles, [1903]. Flammarion.
Sandor Ferenczi, Confusion de langue entre les adultes et l’enfant. Berlin, [1932]. Titre original : Les passions des adultes et leur influence sur le déve- loppement du caractère et de la sexualité des enfants.
E. K. Sedgwick, A poem is being written, [1987], à paraître à l’unebévue-éditeur.
S. Freud, Un enfant est battu, [1919].
A. Freud, Fantasmes de fustigation, et rêve diurne, [1922].
J. Lacan, Encore, Séminaire, Livre XX, 1972-73, Seuil, 1975.