L’AVENTURE DE LA STANDARD EDITION DOMINE-T-ELLE LA PSYCHANALYSE AUJOURD’HUI ?
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12 November 2022 - Paris
Journée avec Henriette Michaud, Miguel Gasteasoro, Gonzalo Percovich et Mayette Viltard
All dates
-
12 November 2022
Argument
L’AVENTURE DE LA STANDARD EDITION
DOMINE-T-ELLE LA PSYCHANALYSE AUJOURD’HUI ?
Samedi 12 novembre 2022, 9h-18h,
253 rue du Faubourg Saint-Martin, 75010 Paris
Entrée 50 € – Étudiants 10 €
ARGUMENT
Voilà presque 70 ans que le nom de James Strachey se trouve associé à celui de Freud au travers de The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, célèbre au point qu’il suffit de dire la Standard Edition voire, dans certains contextes, la Standard. Mais, mis à part le nom de James Strachey, que sait-on vraiment de ce monumental travail de traduction ?
Le projet éditorial de la Standard Edition qui a été initié dès le début 1939 par Anna Freud et son frère Ernst, quelques jours après la mort de Sigmund Freud, s’est d’abord voulu mémorial qui reflèterait la longue aventure de la découverte de l’inconscient par leur père. Il s’est donné comme objectif principal d’établir les fondements de la langue freudienne et ses concepts d’une manière homogène. La Standard Edition a inventé « le vrai Freud ». En traduisant et ré-écrivant les concepts de la psychanalyse en anglais elle en a façonné la langue et a produit une nouvelle façon de penser, une nouvelle façon d’écouter et de pratiquer, une nouvelle façon de former des analystes, bref, une nouvelle version. Ces vingt-quatre volumes à l’appareil critique incontournable qui n’ont pas d’équivalent, même en allemand, constitue toujours l’édition de référence pour les traductions dans bien d’autres langues. Ils ont produit le corps théorique de l’IPA et changé la psychanalyse à jamais.
Si James Strachey a été l’artisan principal de cette aventure éditoriale, qui s’est déroulée sur trente ans (de 1943 à 1974), elle a concerné la plupart des acteurs majeurs de la psychanalyse. Ernest Jones pour commencer qui en nourrissait l’idée dès les années vingt, Alix Strachey, la femme de James, co-signataire de la Standard, Anna Freud, incontournable, dont le nom figure aussi en couverture, et bien d’autres, par exemple Otto Fenichel, Ernst Kris, John Rickman, Sylvia Payne. Amitiés, tensions, rivalités, batailles conceptuelles, luttes politiques dont on connaît fort peu de choses. Mais les prémisses de cette aventure dans les années vingt n’importent pas moins : le passage de James et Alix sur le divan de Freud, leur participation au creuset intellectuel et artistique qu’était le Bloomsbury group, la traduction que Freud leur confie d’emblée en ne tenant aucun compte des critères de droits éditoriaux (ni Jones, ni Mme Rivière, ne sont avertis).
Si l’entreprise éditoriale proprement dite a donné de nombreux plis à la psychanalyse aujourd’hui, certains se sont formés dans les prémisses de cette aventure. Le premier texte que Freud, d’un geste soudain, donne à traduire à James et Alix Strachey est « Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles » qu’il vient de publier en allemand (1919). Freud témoigne de son impuissance devant ce cas (« Je suis bloqué », écrit-il à Ferenczi). Et trois ans plus tard, en 1922, Anna fait son admission à la Société viennoise de psychanalyse avec une communication portant sur les fantasmes de fustigation d’un des cas du texte, le sien ! Il fallait certes des Bloomsbury pour accueillir sans pruderie ni complaisance une pareille tâche, et sans doute fallait-il aussi une Virginia Woolf pour éditer sans hésiter Freud sur sa Hogarth Press à Londres aux côtés des plus grands artistes du siècle. Pourtant, la psychanalyse est à peu près inaudible dans les façons dont on parle maintenant des abus sexuels, de l’inceste, de la diversité sexuelle. Les belles histoires d’Anna demeureraient-elles en transition entre les langues dans la longue histoire des traductions de Freud ?
La journée explorera quelques-uns de ces plis que la Standard Edition donne à la psychanalyse actuellement.
PROGRAMME
9h00 – Accueil
9h30 – Lectures par Jean-Luc Deschamps
9h45-10h45 – Table ronde autour du livre d’Henriette Michaud Freud à Bloomsbury, avec Henriette Michaud et Miguel Gasteasoro, animée par Inés Crespo et Yan Pélissier
Le livre d’Henriette Michaud est la première introduction à l’aventure de la Standard Edition. Il nous présente ces acteurs, à commencer par ceux du Bloomsbury group où le grand frère de James, l’écrivain Lytton Strachey joua un rôle central à côté de l’économiste John Maynard Keynes, de l’écrivain E. M. Forster, de la peintre Vanessa Bell et bien sûr de Virginia Woolf comme de son mari Leonard, créateurs de la Hogarth Press où Freud sera publié au côté d’immenses auteurs.
Pause 15 mn
11h–12h45 – Miguel Gasteasoro : « Lust and Letters in Strachey’s Archives in London.
Une petite histoire de la Standard Edition et de l’amitié de travail entre Ernest Jones
et James Strachey »
Miguel Gasteasoro, qui arpente depuis des années les archives de James Strachey à Londres, nous parlera de la conception de la Standard Edition, des difficultés financières, des obstacles juridiques qu’Ernst Freud a rencontrés, des détours éditoriaux provoqués par Leonard Woolf, et de l’amitié qui a fini par se nouer entre Ernest Jones et James Strachey dans sa correspondance à la fin des années 50 pour faire face à Anna Freud. La Standard Edition ne fut pas qu’un projet éditorial et pas qu’une traduction : ce fut une nouvelle langue qui a produit une nouvelle politique discursive pour la psychanalyse après-guerre.
Pause déjeuner 1h45
14h30-16h – Gonzalo Percovich : « Let’s bloom the flowers in Bloomsbury. Rupert Brooke, un amour de jeunesse de James Strachey »
Rupert Brooke et James Strachey sont tous deux devenus célèbres pour leurs savoir-faire avec les lettres. Le premier, pour ses sonnets de guerre pendant la Première Guerre mondiale et James Strachey, pour sa traduction de l’œuvre de Freud (et pas sans Alix, sa femme, co-signataire). En revanche, on sait très peu de choses sur leurs amitiés intimes de jeunesse. À travers leur correspondance entre 1905 et 1914, on découvrira la trame de leur intense lien érotique et l’univers littéraire qui entourent les deux amants. Bloomsbury était une partie essentielle de leur intrigue amoureuse. Ainsi, Leonard Woolf a pu déclarer que Rupert était ce à quoi Adonis devait ressembler dans les yeux d’Aphrodite. Il était le rêve sexuel qui affrontait, entre autres, les déesses. L’enjeu de cet exposé sera alors l’éclosion de la fleur qui a été cachée par la célébrité.
Pause 15 mn
16h15–17h45 – Mayette Viltard. « Do it for Daddy »
Les lectures successives, freudiennes, puis lacaniennes, du texte de Freud « Un enfant est battu » trouvent-elles des points d’achoppement dans les études que les Gay et Lesbian Studies américaines feront de ce cas ?
BIBLIOGRAPHIE (succincte)
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– L’Unebévue, Revue de Psychanalyse
– N°19, Follement Extravagant, Le psychanalyste, un cas de nymphe, L’Unebévue éditeur, Paris, Hiver 2001-Printemps 2002.
– N°23, De père à fille, bataille pour l’écrit, 2005.
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– Lynda Hart, Between the Body and the Flesh, Performing Sadomasochism, New York, Columbia University Press, 1998 ; La performance sadomasochiste, entre corps et chair, trad. Annie Lévy-Leneveu, Epel, 2003.
– Lynda Hart, “Lust for Innocence” in Homosexuality and Psychoanalysis, Edited by Tim Dean and Christopher Lane, The University of Chicago Press, 2002, pp. 288-304. Traduit par Luc Parisel, à paraître dans L’unebévue.
– Pat Califia, Doing it for Daddy: Short and Sexy Fiction about a Very Forbidden Fantasy, Alyson Publications, 1994.
– Eve Kosofsky Sedgwick, “A poem is being written”, Representations 17, Hiver 1987, in Tendencies, Duke University Press, 1993, traduit par Anne-Marie Vanhove et Marie Jardin, à paraître dans l’Unebévue.
Crédits de l’image : Hogarth Press.