Marie de la Trinité, Tournants et Tourments
Journée
Dernière date
7 Octobre 2023 - Paris
Journée publique dans le cadre des Assises de l’enseignement de l’École lacanienne de psychanalyse
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-
7 Octobre 2023
Argument
Journée publique dans le cadre des Assises de l’enseignement de l’École lacanienne de psychanalyse
Marie de la Trinité,
Tournants et Tourments
Samedi 7 octobre 2023, 9h-18h
Maison de la Vie Associative du 14ème
76 rue Daguerre, 75014 Paris
Entrée libre
Je me vis comme un immense cratère, une mince bordure en marquait le contour.
Le cratère n’était, comme tel, que pure capacité de l’esprit simple.
Le Seigneur, à la faveur de l’oraison, l’avait ainsi comme creusé,
distendu, dilaté pour sa propre demeure en moi. […]
[L]e cratère, lui, n’avait pas de fond, il n’était fini que selon la bordure.
Il n’était pas lumière, mais ténèbre […]. (Carnets V, 15 mai 1945)
Est-elle absolument in-actuelle, anachronique, cette femme, Marie de la Trinité, née Paule de Mulatier, qui nous convoque aujourd’hui ? « De qui et de quoi sommes-nous les contemporains ? » se demande Giorgio Agamben au seuil d’un de ses séminaires.
Femme du XXème siècle, née en 1903 dans une famille très catholique de la bourgeoisie de Lyon, Marie de la Trinité est morte en 1980, discrètement, connue uniquement de son entourage… Et pourtant, sa vie et son écriture témoignent d’un engagement dans des questions qui traversent le siècle. Depuis Nietzsche, « la mort de Dieu » ou « le silence de Dieu » interrogent non seulement écrivains et philosophes mais aussi cette religieuse aux prises avec ce silence de l’Autre devenu inaccessible après ses expériences mystiques. Cette épreuve spirituelle la rend proche de sa sœur aînée, Marthe qui « devint folle » tout de suite après son entrée chez les Clarisses. La question des différents registres de savoir est mis en jeu par le transfert sur trois « supposés-savoir » : le directeur spirituel, le psychiatre et l’analyste. Cette question reste actuelle sur la scène sociale du XXIème où la multiplicité des savoirs se présente comme une Babel de langues pour celui ou celle qui n’a pas les clés pour les distinguer.
Marie de la Trinité, en crise, tourmentée, choisit finalement d’entreprendre une analyse avec Jacques Lacan. Ce sera un tournant dans sa vie, qui laisse des traces aussi chez le psychanalyste : le pur amour, un aiguillon pour formuler la première ébauche des trois registres — le symbolique, imaginaire et le réel — et la jouissance des mystiques. Dans les notes éparses de son analyse, on peut suivre sa critique des structures misogynes de l’Église catholique et du comportement du clergé, elle qui, depuis l’enfance, voulait être « prêtre ». Pourquoi pas ? se dit-elle, et — lectrice de Simone de Beauvoir — en interrogeant les avatars de sa féminité.
Enfin, pourquoi choisit-elle l’obéissance plutôt que sa liberté ? Paule a été « empêchée » — par son directeur spirituel et par son père — de mener une vie contemplative au Carmel. Elle leur a obéi croyant ainsi se protéger avec le supposé-savoir de l’Autre des risques de la liberté : « Je pensais donc qu’en me cramponnant à l’obéissance, par amour pour Dieu, je serais à l’abri de mes propres égarements ». Ce ne fut pas le cas car après bien des tourments — d’ordre spirituel ? d’ordre psychiatrique ? — elle aboutit au 5 rue de Lille pour commencer une analyse. Au terme de trois années, elle l’interrompt pour suivre un traitement à Bonneval. Elle en tire des conséquences qu’elle lui adresse dans un écrit intitulé « Pour Jacques Lacan ». Quelques années plus tard, elle revient chez lui en contrôle des cas qu’elle commence à traiter. Très vite, ce contrôle s’arrête à partir d’un point précis : elle ne veut plus payer. Quelle lecture pouvons-nous faire de ce point final ?
Cette journée est proposée comme une ouverture aux questions que pose l’expérience de cette femme, ses différents registres, son parcours et les traces qu’elle a voulu laisser de son analyse avec Jacques Lacan dans un brouillon de notes qu’elle n’a pas détruites, ni dactylographiées à l’inverse des trois mille pages de ses expériences mystiques.
Programme
9h00 – Accueil
9h30 – Lectures par Jean-Luc Deschamps
9h45 – Raquel Capurro : « Votre névrose est grave, très grave »
Marie de la Trinité (1903-1980) écrivit plus de trois mille pages pour essayer de communiquer son expérience spirituelle. Elle s’arrêta quand une lettre de son psychiatre lui annonça, en le soulignant : « Votre névrose est grave, très grave. » Avec ce diagnostic elle arriva chez le Dr. Lacan et commença son analyse. Nous essayerons d’ébaucher la lecture de ces évènements, de leurs antécédents et de leurs conséquences.
Pause
11h15 – Christiane Schmitt : « Marie de la Trinité et ses Carnets – Choisis donc la vie, afin que tu vives ! (Dt 30, 19) »
Pause déjeuner – 1h30
14h00 – Emmanuel Pic : « Une dialectique entre vie religieuse et vie spirituelle chez Marie de la Trinité »
En se concentrant sur les notes de séance, la correspondance et les réflexions personnelles entre 1944 et 1956, il s’agit de s’intéresser au contexte historique, ecclésiologique et religieux dans lequel advient l’analyse de Sœur Marie de la Trinité avec le Dr. Jacques Lacan et d’offrir un éclairage théologique sur la tension qui la traverse : « en tout ce qui se rapporte directement ou indirectement au-dedans et au-dehors » pour reprendre ses mots.
15h15 – Jorge Baños Orellana : « L’analyse de Marie de la Trinité et l’Annonciation des trois registres »
Les notes, pour certaines très détaillées, sur cent onze séances de l’analyse de Marie de la Trinité avec Jacques Lacan, jointe à la cinquantaine de lettres autour de cette rencontre, constituent un corpus d’une extension inédite qui ouvre à une multitude d’énigmes et de surprises. Nous nous attarderons sur des fragments qui permettent d’entrevoir comment cette analyse a été interrompue, alors que tout semblait augurer du contraire, et comment les tournants et les tourments de ce dénouement ont préfiguré la première formalisation des trois registres, « Le symbolique, l’imaginaire et le réel », le 8 juillet 1953.
Pause
16h45 – Table ronde avec tous les intervenants de la journée, animée par Cécile Imbert
Bibliographie
MARIE DE LA TRINITÉ
De l’angoisse à la paix, Paris, Arfuyen, 2003
Carnets, 5 volumes, Paris, Ed. du Cerf, 2009
Correspondance avec Mère St Jean, 3 volumes, Paris, Ed. du Cerf, 2006
Dossier clinique non-publié des années de maladie et de soins, 2016
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Jean ALLOUCH, Lettre pour Lettre, édition revue et augmentée, avec le postface « L’altérité littérale », Paris, Epel, 2021
— L’amour Lacan, Paris, Epel, 2009
— L’ingérence divine I. Prisonniers du grand Autre, Paris, Epel, 2013
— L’ingérence divine II, Schreber théologien, Paris, Epel, 2014
— L’ingérence divine III, Une femme sans au-delà, Paris, Epel, 2015
— Pourquoi y a-t-il de l’excitation sexuelle plutôt que rien ?, Paris, Epel, 2017
Giorgio AGAMBEN, Qu’est-ce que le contemporain ? Paris, Rivages-poche, 2008
Henri BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion (les deux derniers chapitres), Paris, Félix Alcan, 1932
Francois BALMES, Dieu, le Sexe et la Vérité, et la préface de Catherine MILLOT (accessible sur https://www.cairn.info/dieu-le-sexe-et-la-verite–9782749207599-page-7.htm), Toulouse, Érès, 2007
Jorge BAÑOS ORELLANA, séminaire Lecturas Cronológicas de Lacan, argument accessible sur https://ecole-lacanienne.net/event/lecturas-cronologicas-de-lacan-6/, 2020-2022
— « Subida a la Segunda Analítica », Spy, « Le spirituel se manifestant », Epel, 2020, pp. 205-230
Simone De BEAUVOIR, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949
Eric T. de CLERMONT-TONNERRE, Marie de la Trinité. Lectures d’une expérience et d’une œuvre, Paris, Ed. du Cerf, 2006
Michel de CERTEAU, La fable mystique : XVIe et XVIIe siècles, Paris, Gallimard, tome I 1982, tome II 2013
Agnès DESMAZIERE, L’inconscient au Paradis. Comment les catholiques ont reçu la psychanalyse, Paris, Payot, 2011, ed. Poche 2022
Michel FOUCAULT : Folie, langage et littérature, Henri-Paul Fruchaud, Daniele Lorenzini et Judith Revel, Paris, Vrin, 2019
— Les aveux de la chair, Histoire de la sexualité IV, Édition de Frédéric Gros, Paris, Gallimard, 2018
Hilda GRAEF, Histoire de la mystique, Paris, Seuil, 1972
Sigmund FREUD, Das Unheimlich, 1919
Jacques LACAN, Écrits, textes des années 50
— Conférences : « Le symbolique, l’imaginaire et le réel », 1953 et « La troisième », 1974
— Séminaires : L’éthique de la psychanalyse, 1959-1960
D’un Autre à l’ autre, 1968
…ou pire, 1971-1972
Encore, 1972-1973
Jacques LE BRUN, « Une réédition. Le Saint Jean de la Croix de Jean Baruzi », Essaim 2001/2, n. 8, p. 163-170
— Le pur amour de Platon à Lacan, Paris, Seuil, 2004
— La chapelle de la rue Blomet, Paris, Les Belles Lettres, coll. Ancre Marine, 2021
Gloria LEFF, Lo oculto: verdad indómita. Freud, István Hollós…y otros, México, Epeele, 2021
Guy LE GAUFEY, Le lasso spéculaire. Une étude traversière de l’unité imaginaire, Paris, Epel, 1997
George-Henri MELENOTTE, L’insistance de la lettre chez Lacan. Le tournant de 1971, Paris, Epel, 2021
Friedrich NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre qui est pour tous et qui n’est pour personne, trad. de l’allemand par Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, 1985
Christiane SANSON, Marie de la Trinité, De l’angoisse à la paix, Paris, Ed. du Cerf, 2003
Christiane SCHMITT, Marie de la Trinité, une mystique du sacerdoce, Paris, Ed. du Cerf, 2022 et https://www.youtube.com/watch?v=jI1KTGCoFRI
École de la cause freudienne (Arg.) : Colloque « Marie de la Trinité ». https://causaclinica.com.ar/cursos_2021/doc/marie_trinite.pdf
Jean Louis SOUS, Pas très catholique Lacan ?, Paris, Epel, 2015
— La psychanalyse n’est pas un mysticisme, Paris, Epel, 2018
Barbara STIEGLER, Nietzsche et la vie, Paris, Gallimard, 2021